Lorsqu’une société fait face à des difficultés financières trop importantes, elle peut être placée en liquidation judiciaire. Sa gestion est alors confiée à un liquidateur judiciaire afin d’organiser le règlement des créances.
Lorsque la société placée en liquidation exploite une activité classée sous la réglementation des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), c’est complexe.
En effet, la liquidation judiciaire d’une ICPE doit respecter la procédure de cessation d’activité ICPE, afin de préserver l’environnement et la santé publique.
En 2022, il existe en France environ 500 000 installations classées. Au vu de ce nombre important, les liquidateurs judiciaires sont tous confrontés au droit des ICPE à un moment ou à un autre.
Cet article clarifie les obligations du liquidateur judiciaire confronté à un site ICPE. Il indique également le nouveau rang de la créance de dépollution.
➤ POINT CLEF 1 : La responsabilité de la liquidation judiciaire en tant que dernier exploitant ICPE
Le jugement de liquidation judiciaire dessaisit le débiteur de l’administration et de la disposition de ses biens. Il désigne également un liquidateur judiciaire qui exerce les droits et actions du débiteur concernant son patrimoine pendant toute la durée de la procédure.
Ainsi, le liquidateur est, ès qualités, considéré comme le dernier exploitant ICPE.
La liquidation judiciaire dispose de deux options :
- Soit acter un plan de cession, qui implique la poursuite des activités ICPE de l’entreprise, via un plan de cession total ou partiel
- Soit acter la cessation de l’activité, qui implique la cessation définitive de l’activité classée ICPE.
➤ POINT CLEF 2 : POURSUITE DE L’ACTIVITÉ ICPE : quelles sont les obligations des différentes parties prenantes ?
↪ La poursuite d’activité : c’est quoi ?
La poursuite d’activité correspond à l’hypothèse du maintien de l’activité ICPE de l’entreprise. Elle est autorisée par le tribunal de commerce pour une durée maximale de trois mois, renouvelable une fois.
Le juge l’autorise dans trois hypothèses :
- si la cession totale ou partielle de l’entreprise placée en liquidation judiciaire est possible
- si l’intérêt public l’exige
- si l’intérêt des créanciers le demande
La poursuite d’activité génère des obligations pour le liquidateur judiciaire mais aussi pour le bénéficiaire de la cession partielle ou totale.
↪ Poursuite de l’activité ICPE : quelles sont les obligations de la liquidation judiciaire ?
Dans le cadre de la poursuite d’activité, le liquidateur judiciaire doit :
- préparer un plan de cession
- passer les actes nécessaires à sa réalisation
- en recevoir et distribuer le prix
Il a également une obligation d’information environnementale à sa charge. Il doit communiquer au greffe les caractéristiques essentielles de l’entreprise (cession totale) ou de la ou des branche(s) d’activité susceptibles d’être cédées (cession partielle).
Le liquidateur judiciaire doit notamment informer le futur repreneur du classement ICPE de l’entreprise cédée.
Toute personne intéressée peut prendre connaissance de ces informations auprès du greffe.
En outre, si l’entreprise placée en liquidation judiciaire est propriétaire de l’immeuble, le liquidateur se charge aussi de la réalisation de l’ensemble des actifs.
↪ Poursuite de l’activité ICPE : quelles sont les obligations du bénéficiaire du plan de cession ?
Le bénéficiaire du plan de cession doit, en tant que nouvel exploitant ICPE, déclarer le changement d’exploitant au préfet.
Il est conseillé de suivre de près la bonne réalisation de la déclaration du changement d’exploitant, car celle-ci a de nombreuses conséquences juridiques.
➤ POINT CLEF 3 : CESSATION DE L’ACTIVITÉ ICPE : quelles sont les obligations de la liquidation judiciaire ?
La cessation définitive d’activité ICPE doit être conduite par le mandataire liquidateur en lieu et place de l’exploitant.
En langage courant, il s’agit de la phase de « dépollution » du site ICPE.
La procédure de cessation définitive d’activité ICPE comporte plusieurs étapes imposant différentes obligations au liquidateur judiciaire.
ÉTAPE 1 : NOTIFICATION DE LA CESSATION DÉFINITIVE DE L’EXPLOITATION AU PRÉFET & MISE À L’ARRÊT DÉFINITIVE DU SITE
➡ Quand notifier ?
- 1 mois avant la date d’arrêt pour les ICPE soumises à déclaration,
- 3 mois avant la date d’arrêt pour les ICPE relevant du régime de l’autorisation ou de l’enregistrement,
- 6 mois avant la date d’arrêt pour les installations de stockage de déchets, aux sites de stockage géologique de dioxyde de carbone et aux carrières.
En cas de liquidation judiciaire d’ICPE soumises à autorisation ou à enregistrement sans maintien d’activité, la mise à l’arrêt est ordonnée par le juge.
Ainsi, le respect de ce délai est chronologiquement impossible.
Le Guide de 2012 à destination des administrateurs judiciaires, mandataires judiciaires et de l’inspection des installations classées prévoit que la notification de la mise à l’arrêt définitif doit intervenir « dans les meilleurs délais » à compter de l’arrêt définitif de l’activité.
➡ Quel contenu pour la notification ?
En plus de mentionner l’arrêt définitif de l’activité, la notification doit contenir d’autres informations.
Il s’agit des mesures prises ou envisagées par le liquidateur judiciaire pour assurer la mise en sécurité du site.
ÉTAPE 2 : LA MISE EN SÉCURITÉ DU SITE ICPE
La mise en sécurité comporte notamment, pour la ou les installations concernées par la cessation d’activité, les mesures suivantes :
✅ L’évacuation des produits dangereux et, pour les installations autres que les installations de stockage de déchets, la gestion des déchets présents;
✅ Des interdictions ou limitations d’accès;
✅ La suppression des risques d’incendie et d’explosion;
✅ La surveillance des effets de l’installation sur son environnement, tenant compte d’un diagnostic proportionné aux enjeux.
Le liquidateur judiciaire doit veiller à la sécurité du site. Il donne priorité aux mesures d’urgence, notamment :
- Limiter l’accès aux zones dangereuses
- Fermer l’eau, le gaz, l’électricité afin d’éviter tout risque d’incendie, d’explosion, d’inondation (sauf pour la conservation de produits ou la poursuite de certaines activités)
- Mettre en sécurité les forages de captage d’eaux souterraines
- Éliminer les produits dangereux accessibles au public ou exposés aux intempéries
- Éliminer ou reconditionner les produits dangereux stockés dans des conditions inacceptables
- Éliminer immédiatement les transformateurs contenant du PCB.
Après la mise en place de ces mesures d’urgence, la réalisation des autres mesures de mise en sécurité pourra être envisagée.
ÉTAPE 3 : LA RÉHABILITATION DU SITE ICPE EN FONCTION DE SON USAGE FUTUR
Après la mise à l’arrêt définitif de l’installation et la réalisation des mesures de mise en sécurité, le liquidateur judiciaire est tenu de réhabiliter le site.
La réhabilitation consiste à remettre le site dans un état compatible avec l’usage futur du site. L’usage futur varie en fonction du régime ICPE applicable à l’installation.
En principe, la liquidation judiciaire présente un mémoire contenant les mesures de réhabilitation envisagées. Lorsqu’elles sont insuffisantes, le préfet peut lui imposer des mesures complémentaires.
En pratique, le Guide de 2012 précise que la réhabilitation du site doit se faire en fonction des moyens dont la liquidation judiciaire dispose. Ainsi, lorsque ses fonds sont limités, le liquidateur judiciaire devrait prioriser les opérations de mise en sécurité.
N.B. : En cas de cessation partielle de l’activité ICPE, l’obligation du liquidateur judiciaire est double. Il doit s’assurer de la poursuite des activités par le cessionnaire. En parallèle, il s’occupe de la cessation définitive d’une partie des activités ICPE.
➤ POINT CLEF 4 : Quels sont les enjeux de responsabilité pour la liquidation judiciaire ?
Lors d’une ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire, le préfet peut utiliser ses pouvoirs pour veiller à l’application de la réglementation sur les installations classées.
Il peut ainsi mettre le liquidateur judiciaire en demeure d’exécuter ses obligations en cas de manquements.
Si la liquidation judiciaire ne respecte pas la réglementation ICPE, elle s’expose à des sanctions administratives et pénales.
➡ Des sanctions administratives
A défaut de mise en conformité dans les délais impartis, le préfet peut ordonner :
✅ la consignation
✅ les travaux d’office
✅ la suspension du fonctionnement de l’installation
✅ le paiement d’une amende
✅ la fermeture ou la suppression de l’installation.
PRÉCISION : une mise en demeure n’est pas nécessaire en cas de menace grave pour la santé ou l’ordre public.
➡ Des sanctions pénales
Selon la nature et la gravité de l’infraction, les sanctions pénales suivantes sont encourues :
➡️ AMENDE : les montants maximum varient entre 15.000€ et 300.000€,
➡️ PRISON : les durées maximales varient entre 1 an et 5 ans de prison.
Point de vigilance pour les personnes morales : le montant maximal des amendes est 5 fois celui indiqué.
Au-delà, le liquidateur judiciaire s’expose à des conséquences sur le plan civil, notamment en de vente immobilière car il existe des obligations d’information spécifiques.
L’acquéreur qui découvre une pollution des sols peut engager la responsabilité du liquidateur judiciaire afin d’obtenir la réparation du préjudice.
➤ POINT CLEF 5 : Nouveau rang de la créance environnementale pour la mise en sécurité d’un site ICPE
Il existe différentes catégories de créances environnementales, notamment lorsque le liquidateur judiciaire sollicite l’intervention de prestataires pour mettre en œuvre les opérations de mise en sécurité.
L’ouverture d’une liquidation judiciaire entraîne l’interdiction des paiements et l’arrêt des poursuites individuelles ; sauf pour les créances privilégiées.
Le statut privilégié ou non de la créance de dépollution est donc important.
La loi industrie verte n° 2023-973 entrée en vigueur le 25 octobre 2023 a modifié l’article L. 641-13 du code de commerce.
Dans sa nouvelle version, une créance est privilégiée si elle réunit deux conditions :
(i) créance postérieure au jugement d’ouverture de la liquidation judiciaire et
(ii) créance née pour assurer la mise en sécurité des installations classées pour la protection de l’environnement.
En d’autres termes, les créances qui remplissent ces deux conditions devront être payées à leur échéance.
Dans le cas contraire, elles bénéficient du régime de faveur des créances postérieures utiles et du 6e rang dans le classement de l’article L. 643-8 du code de commerce.
Que retenir ?
Dans le cadre d’une liquidation judiciaire, le liquidateur judiciaire a la qualité de dernier exploitant de l’installation ICPE.
Si l’activité ICPE perdure (via un plan de cession), la liquidation judiciaire doit transmettre les obligations d’information environnementale. Le cessionnaire doit notifier le changement d’exploitant ICPE.
Si l’activité ICPE s’arrête (cessation définitive ICPE), la liquidation judiciaire doit respecter la procédure de cessation définitive de l’activité ICPE. A minima, il s’agit de notifier l’arrêt définitif de l’exploitation et d’assurer la mise en sécurité du site.
Si les fonds sont suffisants, la liquidation judiciaire procède à la réhabilitation du site (autrement dit, à la dépollution du site).
En cas de manquement à ses obligations, le préfet peut édicter des sanctions administratives et pénales. La liquidation judiciaire peut également engager sa responsabilité (professionnelle ou personnelle).
Rang de la créance environnementale : depuis octobre 2023, les créances nées postérieurement au jugement de liquidation judiciaire pour la mise en sécurité d’un site ICPE sont privilégiées.
Concrètement, cela signifie que les prestataires intervenant pour la mise en sécurité d’un site ICPE sont payés à leur échéance.
Références
► Le liquidateur judiciaire est le dernier exploitant ICPE : Article L. 641-9 du code de commerce
► Rang de la créance environnementale pour la mise en sécurité d’un site ICPE : Article L. 641-13 du code de commerce modifié par la loi industrie verte
► Guide de 2012 à destination des administrateurs judiciaires, mandataires judiciaires et de l’inspection des installations classées : ce guide a vocation à faciliter les relations entre les administrateurs ou les mandataires judiciaires et l’inspection des installations classées. Il s’applique aux entreprises soumises au régime des ICPE et à une procédure collective.
► Cessation d’activité d’un site ICPE relevant du régime de déclaration : Article R.512-66-1 du code de l’environnement
► Cessation d’activité d’un site ICPE relevant du régime de l’enregistrement : Article R.512-46-25 du code de l’environnement
► Cessation d’activité d’un site ICPE relevant du régime de l’autorisation : Article R.512-39-1 du code de l’environnement
► Sanctions administratives en cas de non-réalisation des mesures de mise en sécurité : Article L. 171-8 du code de l’environnement
► Sanctions pénales en cas de non-réalisation des mesures de mise en sécurité : Article L. 173-1, II, 5°, du code de l’environnement