OGM CJUE : la préservation de la biodiversité au cœur des enjeux

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OGM

Les organismes génétiquement modifiés, autorisés à des fins expérimentales ou en tant que produits commerciaux, peuvent se reproduire dans l’environnement et franchir les frontières.

Une telle dissémination peut produire des effets irréversibles sur l’environnement.

Pour la protection de la santé humaine, il est nécessaire de contrôler les risques résultant de la dissémination volontaire d’OGM.

Il existe des OGM issus de la transgénèse, qui sont encadrés par le droit européen.

Est-ce que les nouveaux OGM, issus de la mutagénèse, sont encadrés par cette même directive ? Réponse positive de la CJUE.

La décision de la CJUE du 25 juillet 2018 a fait l’effet d’un séisme dans le milieu de la modification génétique.

>> OGM CJUE : quelles sont les définitions ? 

Un texte essentiel pour le cadre juridique des OGM est la directive 2001/18/CE du 12 mars 2001 relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement.

Un OGM est défini par cette directive comme étant “un organisme, à l’exception des êtres humains, dont le matériel génétique a été modifié d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement par multiplication et/ou par recombinaison naturelle” (article 2 de la directive 2001/18/CE du 12 mars 2001).

Pour mémoire, il existe des OGM :

➡️ issus de la transgénèse = créés par insertion d’un élément étranger dans le génome d’un être vivant

➡️ issus de la mutagénèse = créés par modification d’un gène déjà présent dans l’être vivant (« nouveaux OGM »)

La directive 2001/18/CE s’appliquait uniquement aux OGM issus de la transgénèse, et non aux OGM issus des techniques traditionnelles de la mutagénèse.

Avec l’évolution de la science, la question posée à la Cour de justice était : est-ce que les OGM issus des nouvelles techniques de mutagénèse est encadrée par la directive ?

L’enjeu était de déterminer si les obligations relatives à la dissémination des OGM étaient applicables à ces “nouveaux OGM”.

La décision de la CJUE élargit le champ d’application de la définition de la directive, pour y inclure les OGM obtenus grâce aux nouvelles techniques de mutagénèse.

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>> Décision de la CJUE du 25 juillet 2018 : application partielle aux « nouveaux OGM » 

La directive 2001/18/CE du 12 mars 2001 soumet les OGM à des procédures d’évaluation des risques et d’autorisation préalables à toute mise sur le marché ou dissémination dans l’environnement et à des obligations d’information du public, d’étiquetage et de suivi.

Cette évaluation concerne les risques directs ou indirects, immédiats ou différents, qu’ils présentent pour la santé humaine et l’environnement. Si au terme de cette évaluation ils sont autorisés à être mis sur le marché et à être disséminés, ils sont soumis à des obligations de traçabilité, d’étiquetage et de surveillance.

Ces obligations ont vocation à protéger santé et environnement. Or, elles peuvent s’avérer contraignantes pour ceux qui y sont soumis.

C’était tout l’enjeu du débat porté devant la CJUE : soumettre ou non les “nouveaux OGM” aux mêmes obligations que les anciens.

La directive n° 2002/53/CE du 13 juin 2002 prévoit quant à elle la création d’un catalogue commun à l’Union européenne dans lequel sont inscrites les variétés d’espèces de plantes et les modalités d’inscription.

Un catalogue existe également en France. Toute espèce inscrite en France est inscrite sur le catalogue européen.

A ce jour, aucune variété issue des nouvelles techniques de modification génétique in vivo pour résister à certains herbicides n’a été inscrite.

La procédure contentieuse en France

La Confédération paysanne et huit associations ont saisi le Conseil d’État en mars 2015 afin d’obtenir l’abrogation de l’article D. 531-2 du code de l’environnement.

Cet article considère que la mutagénèse n’est pas une modification génétique au sens de la réglementation applicables aux OGM. Les requérants visaient également l’interdiction de la culture et de la commercialisation de variétés de colza rendues tolérantes aux herbicides par le biais d’une nouvelle technique de mutagenèse.  

Le Conseil d’Etat a lui-même saisi la CJUE de questions préjudicielles par décision du 3 octobre 2016. Il demandait à la Cour d’indiquer si les organismes obtenus par mutagénèse, notamment grâce aux nouvelles techniques, devaient être considérés comme des OGM au sens de la directive 2001/18/CE, et si les obligations prévues par cette directive leur étaient applicables.

Le Conseil d’Etat a également questionné la Cour sur la validité des dispositions de droit européen qui ne soumettent pas les OGM obtenus par mutagénèse au principe de précaution. Il a fondé cette question sur l’évolution des “procédés de génie génétique, de l’apparition de nouvelles variétés de plantes obtenues grâce à ces techniques et des incertitudes scientifiques actuelles sur leurs incidences et sur les risques potentiels en résultant pour l’environnement et la santé humaine et animale”.

La décision européenne

Dans son arrêt du 25 juillet 2018, la CJUE a considéré que :

➡️ D’abord, “les organismes obtenus au moyen de techniques / méthodes de mutagenèse constituent des organismes génétiquement modifiés” dans la mesure où ces techniques “modifient le matériel génétique d’un organisme d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement”.

➡️ Ensuite, seuls “les organismes obtenus au moyens de techniques/méthodes de mutagenèse qui ont été traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps” sont exclus du champ d’application de la directive 2001/18/CE.

➡️ Au demeurant, la Cour a considéré que ces mêmes OGM peuvent être inscrits au catalogue commun des variétés des espèces de plantes agricoles prévu par la directive 2002/53/CE du 13 juin 2002 sans satisfaire à l’obligation selon laquelle “la variété n’est admise que si toutes les mesures appropriées ont été prises pour éviter les risques pour la santé humaine et l’environnement.

➡️ Enfin, les Etats membres peuvent choisir d’aller plus loin et de soumettre ces OGM aux obligations prévues par les directives OGM et/ou catalogue commun, ou à d’autres obligations.

En d’autres termes, la CJUE considère que, sauf dispositions nationales spécifiques, les obligations issues des directives 2001/18/CE et 2002/53/CE ne s’appliquent pas aux techniques traditionnelles mais s’appliquent aux nouvelles techniques de mutagenèse, en ce qu’elles se sont considérablement éloignées des techniques traditionnelles.

>> Décision du Conseil d’Etat n°388649 du 7 février 2020

La décision de la CJUE a eu pour conséquence immédiate en France la reprise de l’instance devant le Conseil d’Etat, qui avait sursis à statuer.

Par décision du 7 février 2020 (n°388649), le Conseil d’État a tiré les conséquences de la décision OGM de la CJUE.

Ainsi, les OGM obtenus par certaines techniques de mutagénèse doivent être soumis à la réglementation des OGM.

De ce fait, le Conseil d’Etat a enjoint au Premier ministre, dans un délai de 6 mois, de modifier le code de l’environnement (article D. 531-2) en fixant la liste limitative des techniques ou méthodes de mutagenèse traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps.

Le gouvernement a un délai de 9 mois pour identifier au sein du catalogue des variétés de plantes agricoles celles qui ont été obtenues par mutagénèse et qui auraient dû être soumises aux évaluations applicables aux OGM et de mieux évaluer les risques liés aux variétés de plantes rendues tolérantes aux herbicides (VRTH).

OGM CJUE

>> OGM CJUE : enjeux industriels colossaux

L’une des techniques de mutation génétique au coeur du débat est CRISPR/CAS9, développée par deux chercheuses française et américaine. Cette technique est utilisée aujourd’hui dans plus de 3000 laboratoires. Elle a été développée à partir du système utilisé par les bactéries pour se protéger des infections virales. En simplifiant à l’extrême, elle consiste à couper une séquence d’ADN et à la remplacer par une séquence de notre choix.

Cette découverte pourrait permettre de développer des médicaments ou de soigner des maladies génétiques. Cependant, d’autres recherches ont déjà permis de développer une race de vaches laitières sans cornes (Minnesota – US) ou un chien avec le double de sa masse musculaire “normale” (Chine).

Or, cette recherche est surtout financée et convoitée par les géants de l’agro-alimentaire, avec par exemple le développement d’un champignon qui ne brunit pas après coupe (Pennsylvanie – US) ou la perspective de fraises plus sucrées (développées par Pairwise, une société financée par Bayer-Monsanto).

Selon l’ONG de surveillance des lobbys Corporate Europe, les industriels de l’alimentation font un lobbying intense auprès de la Commission européenne. Ainsi, la « International Seed Federation » (Fédération internationale des semences) a par exemple produit un guide de discussion pour vanter les mérites de la modification génétique des plantes.

Par ailleurs, les enjeux financiers sont tels qu’une bataille contentieuse relative aux droits de propriété intellectuelle du CRISPR-CAS9 fait rage entre Berkeley (Université de Californie) d’une part et le MIT et Harvard d’autre part.

Que retenir ?

Le croisement des espèces végétales et animales par l’homme pour obtenir des variétés ayant certaines caractéristiques, notamment de robustesse, n’est pas nouveau.

Il s’est cependant largement accéléré avec le développement de la technologie, sans que les effets dangereux des multiples applications soient connus ou anticipés sur la santé et l’environnement.

En effet, les arguments scientifiques s’opposent, appuyés d’un côté par des considérations économiques (défenseurs d’une commercialisation à grande échelle d’OGM) et de l’autre par des considérations davantage liées au principe de précaution (défenseurs d’une interdiction ou d’une meilleure connaissance des effets potentiels ou avérés avant commercialisation).

De plus, face aux pressions économiques et aux importations d’OGM non cultivés en Europe, le droit est, lorsqu’il existe, souvent assez lent et désarmé.

La décision de la CJUE, initiée par la société civile française, puis reprise par le Conseil d’Etat est un pas dans le bon sens pour tenter de ralentir la frénésie d’un développement technique non contrôlé.

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