Délit d’écocide : tout comprendre sur cette nouvelle infraction

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Au vu de l’urgence climatique et écologique, la société civile s’intéresse aux manières de protéger l’environnement de manière effective.

Une des manières pourrait être le recours à des outils répressifs, permettant :

  • en amont, de prévenir les atteintes à l’environnement, par effet dissuasif ;

  • en aval, de réprimer ces atteintes, en mettant en œuvre les sanctions prévues.


Aussi, la création d’une nouvelle infraction d’écocide, tant en droit international qu’en droit français, a fait couler beaucoup d’encre.

Que recouvre cette infraction d’écocide ? Est-elle en vigueur aujourd’hui ? Faisons le point sur l’écocide.

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>> Années 70 : l’émergence de la notion d’écocide avec la guerre du Vietnam

En 1970, le biologiste Arthur Galston créé le terme d’« écocide ». Celui-ci est construit à partir du préfixe « éco » qui renvoie à l’idée d’habitat et du suffixe « cide » qui renvoie à l’idée de tuer.

Galston élabore cette notion pour dénoncer les atteintes massives à l’environnement causées par l’armée américaine lors de la guerre du Vietnam :
 
➡️ épandage de défoliants comme l’agent orange ;
➡️ bombardements massifs, notamment au napalm ;
➡️ défrichage de vastes étendues par des bulldozers.


Par ailleurs le terme d’écocide est repris pour dénoncer les atteintes à l’environnement de l’armée américaine au Vietnam en 1972 à Stockholm
. C’est le premier ministre suédois Olof Palme, qui le prononce lors de son discours d’ouverture de la conférence des Nations unies sur l’environnement.

Ensuite en 1973, le professeur de droit international Richard Falk reprend le terme d’écocide dans un article. Il propose l’adoption d’une convention internationale sur le crime d’écocide et un projet de protocole sur la guerre environnementale.

Toujours en réaction à la guerre du Vietnam, en 1976, l’Assemblée Générale de l’ONU approuve une convention internationale « sur l’interdiction d’utiliser des techniques de modification de l’environnement à des fins militaires ou toutes autres fins hostiles ».

A l’origine, l’idée est donc de créer une nouvelle infraction en droit international pénal. Par la suite, cette idée a refait surface en 2010.

>> 2010 : proposition de Polly Higgins visant à sanctionner le crime d’écocide par la Cour pénale internationale

En 2010, un accident majeur sur une plateforme pétrolière de l’entreprise BP au large du Mexique conduit à une marée noire de grande ampleur (explosion de Deepwater Horizon, qui a inspiré le film Deepwater en 2016).

De plus, la même année, l’avocate britannique Polly Higgins publie un article intitulé « Eradiquer l’écocide : lois et gouvernance pour prévenir la destruction de notre planète » (Eradicating Ecocide : laws and gouvernance to prevent the destruction of our planet).

Polly Higgins plaide alors pour l’instauration d’un crime d’écocide relevant de la compétence de la Cour pénale internationale.

L’écocide serait ainsi défini comme : « la destruction, les dégâts ou la perte quasi complète de l’écosystème d’un territoire donné, par l’action humaine ou par d’autres causes, d’une telle ampleur que la capacité des habitants de ce territoire à en profiter paisiblement a été gravement atteinte ».

Outre les humains, la notion d’« habitants d’un territoire » recouvre également les animaux, les végétaux et les autres formes de vie.

>> 2013 : lancement de l’initiative citoyenne européenne « End Ecocide in Europe »

En 2013, l’initiative citoyenne européenne End Ecocide in Europe, conduite notamment par la juriste et essayiste Valérie Cabanes, a été proposée en vue de demander à la Commission européenne l’élaboration d’une directive Ecocide.

Il est à noter qu’une initiative citoyenne européenne est un instrument de démocratie participative. Ainsi, elle permet aux citoyens de l’Union européenne (UE) de proposer des modifications juridiques dans les domaines de compétence de la Commission européenne.

Si vous voulez en savoir plus sur l’initiative citoyenne européenne, vous pouvez consulter notre article.

Parallèlement les organisations non étatiques à l’origine de cette initiative ont signé le 30 janvier 2014, la Charte de Bruxelles. Cette charte appelle à la création d’un Tribunal Pénal Européen et d’une Cour Pénale Internationale de l’Environnement et de la Santé.

Mais le seuil d’un million de signatures de citoyens européens en un an n’est pas atteint. Au final, les initiateurs du mouvement, dont Polly Higgins et Valérie Cabanes, lancent le mouvement End Ecocide on Earth.

>> Progrès de la notion d’écocide dans la société civile, en France et au sein de l’Union Européenne

En 2015, l’association Notre Affaire à Tous, ayant notamment pour objectif de se battre « pour la protection des communes et contre les écocides », est lancée.

La même année, un rapport remis au ministre de la Justice, intitulé « Des écocrimes à l’écocide », réitère la proposition de confier à la Cour pénale internationale la compétence de poursuivre les crimes d’écocide.

Par la suite, Polly Higgins cofonde en 2017, notamment avec Valérie Cabanes, l’association Stop Ecocide. Et ce, toujours en vue de faire de l’écocide un crime international relevant de la compétence de la Cour pénale internationale. 

En 2020, la Chambre des représentant du Parlement belge a adopté une résolution demandant au gouvernement belge :

d’initier un nouveau traité international des pays les plus volontaristes pour poursuivre et réprimer l’écocide au niveau international ;
de déposer un amendement au Statut de Rome de la Cour pénale internationale de La Haye afin d’y inclure le nouveau crime d’écocide ;
enfin de faire rapport au parlement de l’avis qui sera rendu par les experts pour inclure le crime d’écocide dans le code pénal belge.

Mercredi 20 janvier 2021, le Parlement européen a adopté un amendement en faveur de la préservation de l’environnement. Et cela, avec pour objectif que soit inscrite la criminalité environnementale dans le droit international.

Puis en juin 2021, le Groupe d’experts indépendants pour la définition juridique de l’écocide s’est réuni sur convocation de la fondation Stop Ecocide.

Au final, les experts ont proposé la définition suivante de l’écocide : « les actes illégaux ou gratuits, commis en sachant qu’il y a une forte probabilité que ces actes causent des dommages graves et étendus ou à long terme à l’environnement ».

>> Et aujourd’hui, est-ce que le crime d’écocide existe en droit pénal international ?

En 1998, l’ONU adopte le Statut du Rome, texte fondateur de la Cour pénale internationale. Il a pour mission de poursuivre les auteurs des crimes les plus graves, à savoir :

  • le crime de génocide,
  • les crimes contre l’humanité,
  • les crimes de guerre,
  • le crime d’agression.


A ce titre, la Cour pénale internationale est notamment compétente pour poursuivre les auteurs d’attaques ayant « incidemment [causées] […] des dommages étendus, durables et graves à l’environnement naturel qui seraient manifestement excessifs par rapport à l’ensemble de l’avantage militaire concret et direct attendu » .

Même si cela a été proposé à de nombreuses reprises, le Statut de Rome ne définit ni ne mentionne le crime d’écocide.

A ce jour, le crime d’écocide n’existe pas en droit international pénal.

La Cour pénale internationale ne peut donc sanctionner l’infraction d’« écocide ».

>> Et en France ? Quelle était la proposition de la Convention citoyenne sur le climat ?

En juin 2020, la Convention citoyenne pour le climat appelle à l’instauration d’un crime d’écocide, qu’elle définit comme :

➡️ une action causant un dommage écologique grave consistant en un dépassement manifeste et non négligeable d’au moins une des limites planétaires,
➡️ dont l’auteur savait ou aurait dû savoir qu’il existait une haute probabilité de ce dépassement.

Aussi, ce crime serait puni de vingt ans de prison et d’une amende pouvant atteindre 20 % du dernier chiffre d’affaires connu à la date de la commission des faits.

La Convention citoyenne pour le climat lie étroitement les notions d’écocide et de limites planétaire : 

« Notre ambition est de faire évoluer notre droit afin que le pouvoir judiciaire puisse prendre en compte les limites planétaires. [….] La définition des limites planétaires permet d’établir un référentiel pour quantifier l’impact climatique des activités humaines. Le vote d’une loi qui protège les écosystèmes permet de fait, de reconnaître l’écocide et de pénaliser les atteintes aux écosystèmes. »

En effet, la biosphère et nos écosystèmes fonctionnent grâce à l’interaction de différents phénomènes. De fait, l’activité humaine nous conduit à atteindre les limites de ces phénomènes, cycles et écosystèmes.

Ce franchissement peut nous conduire vers un « point de basculement » caractérisé par un processus d’extinction irréversible d’espèces et par la généralisation de catastrophes climatiques nocives pour l’humanité.

La Convention citoyenne pour le climat proposait également la création d’une Haute Autorité des Limites Planétaires (HALP). Et ce, afin de garantir la bonne mise en œuvre de la loi, déclinée en Hautes Autorités Régionales des Limites Planétaires (HARLP).

>> Focus sur les 9 limites planétaires proposées par la Convention citoyenne pour le climat

En 2009, une équipe internationale de 26 chercheurs publie un article proposant le concept de limites planétaires.

L’objectif est de définir des limites physiques à ne pas dépasser, sous peine de risquer le franchissement de « points de basculement ». Avec pour conséquence d’exposer l’humanité à des changements brutaux, difficilement prévisibles et potentiellement catastrophiques.

Limites planétaires

>> Et aujourd’hui, est-ce que le crime d’écocide existe en droit français ?

Non, le crime d’écocide n’existe pas en droit français.

En revanche, la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (dite loi résilience et climat) a prévu une nouvelle infraction : le délit d’écocide.

Ce nouveau délit d’écocide est tout à fait différent de l’infraction proposée par la Convention citoyenne pour le climat. En effet, il n’y a aucune référence aux limites planétaires, et il s’agit d’un délit et non d’un crime.

Le rapport de l’Assemblée nationale a retenu que la notion de limites planétaires présente un « caractère de généralité difficilement compatible avec l’exigence de précision de la loi pénale ».

L’article L. 231-3 du code de l’environnement prévoit que le délit d’écocide est caractérisé par :

  • la commission de l’un des faits de pollution suivants :
    →  SOIT pollution de l’air et de l’eau en violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement
    →  SOIT pollution de l’environnement résultant de manquements à la réglementation relative aux déchets
  • des atteintes graves à la santé, à la flore, à la faune ou à la qualité de l’air, du sol ou de l’eau
  • des effets durables des atteintes à l’environnement, susceptibles de durer au moins 7 ans
  • des faits commis de manière intentionnelle.


Ce délit est puni d’une peine de prison de 10 ans et d’une peine d’amende de 4,5 millions d’euros. Ce montant pouvant être porté jusqu’au décuple de l’avantage tiré de la commission de l’infraction.

>> Comment ce nouveau délit a-t-il été accueilli par la société civile ?

Bien que saluée, l’instauration de ce nouveau délit d’écocide a également fait l’objet de critiques.

La première critique est liée à la disparition de la référence aux limites planétaires et à la nécessité de caractériser un manquement à la loi ou à la réglementation.

Si cette condition n’apparaît pas déraisonnable, elle peut néanmoins perdre de son sens « dès lors que sont en jeu les atteintes les plus graves à l’environnement, voire à la sûreté de la planète elle-même ».

La seconde critique tient à la définition restrictive de l’écocide, qui risque de poser des difficultés en termes de preuves.

En effet, le texte impose de prouver que les atteintes à l’environnement sont à la fois graves et durables ; ce qui peut s’avérer très complexe.

>> Premier dossier d’écocide en France à proximité de Lyon, suivi par le cabinet Kaizen Avocat

Le cabinet Kaizen Avocat suit la première affaire d’écocide en France, dans le cadre d’une pollution par des solvants chlorés (notamment du trichloréthylène) de plus de 50 ans dans les environs de Lyon.

Cette pollution historique de grande ampleur, située à Grézieu-la-Varenne, constitue le tout premier cas d’écocide instruit en France. Il est confié au pôle santé publique environnement du Tribunal judiciaire de Marseille.

L’instruction a été ouverte après la plainte déposée par plusieurs parties civiles en novembre 2021, trois mois après la loi instaurant l’infraction d’écocide.

Deux juges d’instruction se sont rendus au tribunal judiciaire de Lyon en juin 2022, pour entendre les victimes.

De nouvelles parties civiles se joignent régulièrement à la procédure pénale.

Que retenir ?

– Il convient de distinguer deux notions :

  • le crime d’écocide, dont la création est discutée en droit international pénal, et qui n’existe pas aujourd’hui ; 
  • le délit d’écocide créé en droit français par la loi résilience et climat du 22 août 2021.


– Créée dans les années 1970, la notion d’écocide désigne, dans une acception large, les atteintes les plus graves à l’environnement.

– Depuis 2010, un mouvement international plaide pour la reconnaissance d’un crime d’écocide relevant de la compétence de la Cour pénale internationale.

– La Convention citoyenne pour le climat avait appelé à l’instauration d’un crime d’écocide, en lien avec le dépassement de limites planétaires.

– Le législateur a privilégié l’instauration non pas d’un crime, mais d’un délit d’écocide ; sans prendre en compte les limites planétaires.

– Aujourd’hui, le délit d’écocide en France est caractérisé par :

➡️  la commission de l’un des faits de pollution suivants :
> SOIT pollution de l’air et de l’eau en violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement
> SOIT pollution de l’environnement résultant de manquements à la réglementation relative aux déchets

➡️ des atteintes graves à la santé, à la flore, à la faune ou à la qualité de l’air, du sol ou de l’eau
➡️ des effets durables des atteintes à l’environnement, susceptibles de durer au moins 7 ans
➡️ des faits commis de manière intentionnelle

– Le cabinet Kaizen Avocat, spécialiste en droit de l’environnement, suit la première affaire d’écocide en France, dans le cadre d’une pollution par des solvants chlorés de plus de 50 ans dans les environs de Lyon (à Grézieu-la-Varenne).

Références

► Délit d’écocide, créé par la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets : Article L231-3 du Code de l’environnement

► Présentation de l’initiative citoyenne européenne visant à l’adoption d’une directive « Ecocide » :
Arrêtons l’Ecocide en Europe: une Initiative des Citoyens pour donner des Droits à la Terre

► Présentation de l’association Stop Ecocide :
Notre travail — Stop Ecocide FRANCE

► Définition de l’écocide par le Groupe d’experts indépendants pour la définition juridique de l’écocide :
Groupe d’experts indépendants pour la définition juridique de l’écocide

► Rapport de la Convention Citoyenne pour le Climat – 29 janvier 2021 :
https://propositions.conventioncitoyennepourleclimat.fr/pdf/ccc-rapport-final.pdf

► Article proposant le concept de limites planétaires – décembre 2009 :
Ecology and Society, “Planetary Boundaries: Exploring the Safe Operating Space for Humanity”

► Rapport du ministère de l’écologie étudiant la situation de la France au regard des limites planétaires – édition 2019 :
L’environnement en France – édition 2019 | Rapport de synthèse

► Rapport de l’Assemblée nationale sur le projet de loi dit Climat et résilience du 19 mars 2021 :
www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/csldcrre/l15b3995-tii_rapport-fond

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