Le Conseil d’Etat est la plus haute juridiction administrative, en France.
Cette juridiction peut être saisie pour contester la légalité des arrêtés interministériels.
C’est ce que les associations Générations Futures et Eau et Rivières de Bretagne ont fait.
Ces associations ont saisi le Conseil d’Etat, pour contester la légalité de l’arrêté du 4 mai 2017 relatif aux conditions générales d’utilisation et de mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques.
Par une décision du 26 juin 2019, le Conseil d’Etat a considéré que l’arrêté du 4 mai 2017 sur les pesticides ne protégeait pas assez l’environnement et la santé publique.
Le motif ? Les restrictions prévues pour l’utilisation des pesticides étaient insuffisantes.
Explications des enjeux de cette jurisprudence, importante pour la protection de la santé et de l’environnement.
>> Conseil d’Etat Pesticides : action de deux associations
Les associations Générations Futures et Eau et Rivières de Bretagne ont déposé le 3 novembre 2017 un recours pour excès de pouvoir contre l’arrêté du 4 mai 2017 et la décision implicite de rejet d’annulation de cet arrêté du Ministre de la transition écologique et solidaire.
L’arrêté du 4 mai 2017 encadre la mise sur le marché et l’utilisation des produits phytopharmaceutiques et de leurs adjuvants, également appelés pesticides.
Cet arrêté fixe ainsi :
➡️ la vitesse maximale du vent au-delà de laquelle ces produits ne peuvent pas être appliqués,
➡️ les délais à respecter entre l’application et la récolte,
➡️ le délai de rentrée minimum applicable aux travailleurs agricoles après l’utilisation des produits,
➡️ les dispositions pour limiter les pollutions ponctuelles, relatives notamment à l’épandage et la vidange des effluents phytopharmaceutiques,
➡️ les mesures visant à éviter la pollution des points d’eau par la dérive de pulvérisation ou le ruissellement de ces produits.
Ces associations ont également demandé au Conseil d’État d’enjoindre le Ministre de prendre un nouvel arrêté dans un délai de 3 mois, sous astreinte de 50 euros par jour de retard.
>> Objectif : la protection du milieu aquatique
Le Conseil d’Etat revient tout d’abord sur le fondement de la réglementation des pesticides.
Il s’agit de la directive 2009/128/CE du 21 octobre 2009 instaurant un cadre d’action communautaire pour parvenir à une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable.
Cette directive 2009/128/CE du 21 octobre 2009 prévoit que :
➡️ les États membres font en sorte que des mesures appropriées soient adoptées pour protéger le milieu aquatique et l’alimentation en eau potable contre l’incidence des pesticides (article 11) ;
➡️ les États membres, tenant dûment compte des impératifs d’hygiène, de santé publique et de respect de la biodiversité ou des résultats des évaluations des risques appropriées, veillent à ce que l’utilisation de pesticides soit restreinte ou interdite dans certaines zones spécifiques (article 12).
>>Conseil d’Etat Pesticides : décision d’annulation du 26 juin 2019
Le Conseil d’Etat écarte les arguments des associations fondés sur le non-respect du principe de sécurité juridique et de l’objectif à valeur constitutionnelle de clarté et d’intelligibilité de la norme.
De même, les arguments tirés de la méconnaissance du principe de non-régression du droit de l’environnement et du principe de gestion équilibrée et durable de la ressource en eau n’ont pas été accueillis.
En revanche, le Conseil d’Etat annule l’arrêté du 4 mai 2017 en tant qu’il ne prévoit pas de disposition visant à protéger les riverains des zones traitées par des produits phytopharmaceutiques et qu’il ne prévoit aucune restriction d’utilisation des pesticides en cas de forte pluviosité.
Par ailleurs, le Conseil d’Etat vient pointer du doigt la rédaction lacunaire du l’arrêté du 4 mai 2017 concernant le « délai de rentrée ».
Ce délai est la durée pendant laquelle il est interdit aux personnes de pénétrer dans les lieux (par exemple : champs, locaux fermés comme les serres) où a été appliqué un produit pesticide. Or, ce délai de rentrée était restreint par deux facteurs :
➡️ Il ne s’appliquait que si les pesticides avaient été appliqués sur une végétation en place : quid des sols vierges de végétation ?
Le Conseil d’Etat considère que la santé des travailleurs agricoles et des personnes pouvant accéder à des zones récemment traitées peut être affectée aussi lorsque les pesticides sont appliqués sur des sols vierges de toute végétation. Ce point est donc retoqué.
➡️ Il ne s’appliquait que si les pesticides étaient pulvérisés ou poudrés : quid des autres techniques ?
Et si les pesticides étaient appliqués via l’épandage de granulés ou l’injection de produits dans les sols ?
Le Conseil d’Etat a considéré que de telles méthodes sont pourtant également susceptibles d’induire un risque de pollution des eaux de surface hors site traité, notamment par ruissellement. Cet élément est donc également retoqué.
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>> Le Ministère a 6 mois pour agir (échéance au 27 décembre 2019)
Le Conseil d’Etat enjoint au ministre de la transition écologique et solidaire, au ministre de l’agriculture et de l’alimentation, au ministre de l’économie et des finances et à la ministre des solidarités et de la santé de prendre les mesures réglementaires impliquées par la décision dans un délai de six mois à compter de sa notification.
Contrairement à ce qui avait été demandé par les associations, aucune astreinte n’a été prononcée.
Un début de réponse a été apporté par le gouvernement le 28 juin 2019, car il a présenté les réflexions en cours sur les pesticides, notamment :
✅ la mise en place de chartes d’engagement par les utilisateurs de produits phytosanitaires, élaborées dans chaque département en concertation avec les riverains ou leurs représentants, afin de préciser et renforcer les mesures de protection à mettre en place (article 83 de la loi EGALim du 30 octobre 2018)
✅ l’avis de l’Anses portant sur les mesures de protection des riverains lors de l’utilisation des produits phytosanitaires
>> Conseil d’état Pesticides : arrêté et décret du 27 décembre 2019
Entré en vigueur au 1er janvier 2020, l’arrêté du 27 décembre 2019 complète différents articles de l’arrêté du 4 mai 2017 en étendant les dispositions pré-éxistantes en matière de protection de la santé et de l’environnement au-delà des seules applications par pulvérisation et poudrage, en prévoyant une interdiction de traiter en cas de fortes pluies.
Il actualise également les dispositions de l’arrêté concernant les équipements de protection individuelle et les équipements de travail.
Il prévoit des dispositions particulières relatives aux distances de sécurité au voisinage des zones d’habitation et des zones accueillant des groupes de personnes vulnérables.
Des distances minimales sont à respecter entre les zones de traitement à l’aide de produits phytosanitaires et les zones d’habitation:
➡️ pour les substances les plus préoccupantes : 20 mètres incompressibles
➡️ pour les autres produits : 10 mètres pour l’arboriculture, la viticulture, les arbres et arbustes, la forêt, les petits fruits et cultures ornementales de plus de 50 centimètres de hauteur, les bananiers et le houblon ; 5 mètres pour les autres cultures.
Le décret n° 2019-1500 du 27 décembre 2019 est relatif aux mesures de protection des personnes lors de l’utilisation de produits phytopharmaceutiques à proximité des zones d’habitation. Entré en vigueur le 1er janvier 2020, ce décret fixe les modalités d’élaboration, de concertation et de validation ainsi que le contenu des chartes d’engagement mentionnées au III du L. 253-8 du code de l’environnement.
France Nature Environnement déplore que l’arrêté du 27 décembre 2019 n’inclut aucune mesure complémentaire de protection, en sus des distances de sécurité. Ni le vent, ni l’intensité de la pluie, ne sont pris en compte ; alors que ce sont des facteurs importants de la dispersion des pesticides dans l’environnement.
France Nature Environnement et plusieurs organisations ont demandé au juge, notamment, d’annuler l’arrêté et du décret du 27 décembre 2019.
Affaire à suivre…
Que retenir ?
Le Conseil d’Etat a annulé partiellement l’arrêté du 4 mai 2017, qui encadrait les précautions d’usage à respecter par les professionnels qui utilisent des pesticides.
En effet, les précautions d’usage ne permettaient pas de protéger la santé publique, ni le milieu aquatique et l’alimentation en eau potable contre l’incidence des pesticides.
Le gouvernement avait 6 mois pour revoir sa copie et prévoir un cadre juridique plus strict.
Par un arrêté et un décret du 27 décembre 2019, le gouvernement a proposé des mesures de protection supplémentaires, concernant les distances minimales à respecter.
En revanche, ni le vent, ni la pluie, ne sont des éléments à prendre en compte lors de l’épandage des pesticides. Pourtant, ce sont des facteurs majeurs de la dispersion de ces produits dans l’environnement.
Plusieurs associations de protection de l’environnement estiment que c’est insuffisant et attaquent l’arrêté et le décret du 27 décembre 2019 devant le juge. Affaire à suivre !
Références
► Arrêté du 27 décembre 2019 relatif aux mesures de protection des personnes lors de l’utilisation de produits phytopharmaceutiques et modifiant l’arrêté du 4 mai 2017 relatif à la mise sur le marché et à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques et de leurs adjuvants visés à l’article L. 253-1 du code rural et de la pêche maritime : arrêté du 27 décembre 2019
► Décret n° 2019-1500 du 27 décembre 2019 relatif aux mesures de protection des personnes lors de l’utilisation de produits phytopharmaceutiques à proximité des zones d’habitation : décret n°2019-1500 du 27 décembre 2019
► Décision du 26 juin 2019 du Conseil d’Etat, n°415426, 415431 : CE, 26/6/2019, Réglementation des pesticides
► Arrêté du 4 mai 2017 relatif à la mise sur le marché et à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques et de leurs adjuvants visés à l’article L. 253-1 du code rural et de la pêche maritime : arrêté du 4 mai 2017
► Site internet qui recense les témoignages sur les risques sanitaires engendrés par l’utilisation des pesticides : https://victimes-pesticides.fr/riverains/