Comment le juge prend en compte la santé environnementale ?

4.9/5 - (38 votes)

D’après l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 23% des décès et 25% des pathologies chroniques sont liés à des facteurs environnementaux dans le monde.

Aussi la qualité de l’air, de l’eau, l’alimentation ou encore l’exposition à des substances chimiques ont un impact sur la santé.

Depuis le début des années 2000, le concept « Une Seule Santé » ou « One Heath » se développe. Il repose sur l’idée que la santé humaine et la santé animale sont interdépendantes et liées à la santé des écosystèmes dans lesquels elles coexistent.

En outre, les zoonoses, comme le Covid 19, sont des maladies se transmettant des animaux à l’homme. Elles sont un parfait exemple de l’interdépendance entre santé humaine et santé des écosystèmes.

Enfin, les pollutions ayant des conséquences sur la santé humaine, les victimes de ces pollutions subissent des préjudices. C’est pourquoi il est intéressant de s’interroger sur la manière dont la santé environnementale est appréhendée par les juridictions.

>> Qu’est-ce que la santé environnementale ?

La santé environnementale comprend :

  • La santé humaine, y compris la qualité de la vie. Elle est déterminée par des facteurs physiques, chimiques, biologiques, sociaux, psychosociaux et esthétiques de notre environnement ;

  • Également la politique et les pratiques de gestion, de résorption, de contrôle et de prévention des facteurs environnementaux susceptibles d’affecter la santé des générations actuelles et futures.

>> Quels sont les enjeux de la santé environnementale en France ?

➡️ En France, 5 à 10 % des cancers seraient liés à des facteurs environnementaux,
➡️ L’ozone a provoqué la mort prématurée de 21.000 personnes en France en 2000, chiffre qui devrait quadrupler d’ici 2030,
➡️ 2,4 millions de salariés français sont exposés à des produits cancérogènes en France,
➡️ La France est le 3ème pays le plus touché par la pollution atmosphérique liée aux particules en suspension en Europe,
➡️ En France, on estime le nombre de décès lié à l’amiante à 100.000 d’ici 2025.

D’ici 2100, l’épuisement des écosystèmes terrestres risque d’annuler les progrès de la médecine moderne.

Il est donc essentiel de lier la préservation des écosystèmes et la protection des ressources naturelles à la préservation de la santé humaine. 

>> Le contexte de la santé environnementale : une pollution diffuse et multifactorielle

La pollution est souvent diffuse, dans le temps et dans l’espace. Les facteurs de pollution ont une origine difficilement localisable. Aussi, les effets se déclarent parfois bien après l’émission de la pollution, voire chez les générations futures.

De plus, la pollution a de multiples origines ce qui peut impliquer un effet cocktail.

Au regard de la complexité de cette pollution, un nouveau concept est de plus en plus utilisé : l’exposome.

Cette notion correspond à la totalité des expositions pouvant influencer sur la santé humaine.

>> Qu’est-ce que le contentieux de la santé environnementale ?

L’article 1240 du code civil oblige celui qui cause un dommage à autrui à le réparer. Ainsi les différentes pollutions engendrées par l’activité humaine peuvent générer des dommages, qu’il faudra alors réparer.

A noter que la réparation, synonyme d’indemnisation, se réalise via le dédommagement d’un préjudice par la personne qui en est responsable civilement.

Quant à l’indemnisation, elle consiste à rétablir la victime dans la situation où elle serait si le dommage ne s’était pas produit.

Enfin, le dommage doit être réparé de la manière la plus adéquate, soit en nature, soit en argent.

>> Quelles sont les difficultés rencontrées par le contentieux de la santé environnementale ?

Comme mentionné précédemment, le lien de causalité entre pollutions et maladies est difficile à établir car les pollutions sont souvent diffuses et multifactorielles.

Les données scientifiques ont une place essentielle dans le contentieux. Elles ont pour rôle de prouver le lien entre la pollution et les dommages. Or, les études scientifiques en toxicologie et épidémiologie sont réalisées à l’échelle d’une population, et non à l’échelle individuelle.

En outre, le coût des expertises judiciaires, qui prouverait le préjudice à l’échelle individuelle, est très élevé et souvent aux frais des victimes.

Par conséquent, le lien de causalité en santé environnementale entre le fait générateur (la pollution) et le dommage (les atteintes à la santé humaine) est souvent difficile à établir.

Aussi, les victimes de pollutions sont souvent faiblement indemnisées.

>> Qu’est-ce que le lien de causalité ?

C’est l’imputabilité d’un fait générateur à un dommage causant un préjudice.

Il permet d’engager la responsabilité d’une personne physique ou morale pour demander la réparation du préjudice. Cette responsabilité est engagée sur le fondement de l’article 1240 du code civil.

L’article 1353 du code civil prévoit que la preuve du lien de causalité incombe à la victime. Elle doit alors prouver par tous moyens le lien causal entre le dommage qu’elle a subi et le fait générateur de responsabilité.

A noter qu’il doit être direct et certain.

Lorsque la preuve est difficile à établir directement, l’article 1382 du code civil prévoit que le recours à des présomptions est possible en présence de preuves graves, précises et concordantes.

En 2020, la Cour de cassation a approuvé pour la première fois, dans l’affaire Paul François, que l’exposition à un pesticide puisse constituer un dommage corporel.

Le juge a apprécié des présomptions graves, précises et concordantes pour admettre :

→ Le lien de causalité entre l’inhalation du produit et le dommage ;

→ Le lien de causalité entre le défaut du produit et le dommage.

Santé environnementale

>> Comment utiliser les données scientifiques dans le contentieux de la santé environnementale ?

L’utilisation de données scientifiques a permis de faire évoluer la prévention des atteintes à la santé. En effet, les données scientifiques permettent d’établir un lien de causalité entre les pollutions et les pathologies développées.

Le juriste doit travailler avec des experts dans le cadre du contentieux, notamment avec des toxicologues et des épidémiologues, car ce sont les experts en santé environnementale :

✔️ La toxicologie est une « science qui étudie la nature, les effets et la détection des toxiques dans les organismes vivants ainsi que des substances par ailleurs inoffensives qui s’avèrent toxiques dans des conditions particulières »

✔️ L’épidémiologie est une « branche de la médecine étudiant les divers facteurs conditionnant l’apparition, la fréquence, le mode de diffusion et l’évolution des maladies affectant des groupes d’individus »

Ainsi le juriste peut recourir à une logique probabiliste, traduisant le risque de l’exposition aux polluants et le seuil à partir duquel le risque peut devenir un danger.

Ce point est complexe, dans la mesure où certaines substances sont dangereuses quelle que soit la dose (par exemple les perturbateurs endocriniens).

>> Aménagements du lien de causalité par la loi : le cas du préjudice d’anxiété 

Initialement, la jurisprudence a admis la condamnation des employeurs sur le fondement du préjudice d’anxiété, lorsque les salariés étaient exposés à l’amiante.

Les salariés bénéficiaient alors d’une présomption de causalité lié à leur exposition à l’amiante. L’indemnisation de leur préjudice d’anxiété était automatique.

↪️Préjudice d’anxiété en cas d’exposition à des substances nocives ou toxiques

En 2019, la Cour de cassation a élargi le préjudice d’anxiété à toute substance nocive ou toxique.

En application des règles de droit commun régissant l’obligation de sécurité de l’employeur, la Cour admet qu’un salarié apportant les preuves suivantes peut agir contre son employeur pour manquement de ce dernier à son obligation de sécurité :

  • Exposition à une substance nocive ou toxique générant un risque élevé de développer une pathologie grave ;
  • Ou préjudice d’anxiété personnellement subi résultant d’une telle exposition.


Enfin le Conseil d’État estime que toute situation permettant d’établir une exposition effective à un risque fréquent et grave entraîne la reconnaisse d’un préjudice d’anxiété, sans avoir à en rapporter la preuve.

Cette solution pourrait être transposable à toute affaire sanitaire.

↪️Préjudice d’angoisse en cas d’exposition aux antennes relais

Le juge civil a retenu un préjudice d’angoisse pour les cas d’exposition à des antennes relais.

Les effets sur la santé de la proximité d’antennes relais sont débattus par la science. Cette dernière peut donc représenter une crainte légitime concernant les risques sanitaires constitutifs d’un trouble anomal.

Le juge se base sur plusieurs données scientifiques afin de prendre en compte ce préjudice moral résultant de l’angoisse. Il pourra ensuite en ordonner la cessation et la réparation.

Dans la plupart des cas, les normes d’exposition sont respectées et les risques restent hypothétiques. Néanmoins, le juge estime que les controverses scientifiques sur le sujet participent à l’angoisse ressentie par les voisins de ces antennes.

>> Comment une victime de pollution peut-elle constituer des preuves pour ensuite obtenir réparation du préjudice ?

Les victimes doivent apporter les preuves démontrant le lien de causalité entre la pollution et les dommages subis.

Le dossier des victimes de pollutions réclamant une réparation de leurs préjudices doit être solide et être constitué de nombreuses preuves, par exemple :

→  Un dossier médical complet établi au moment de l’apparition ou de l’aggravation de la maladie ou au moment de l’exposition à des pollutions afin de mettre en avant un lien de causalité ;

→  Le recours à un huissier qui va établir un constat afin de certifier les faits (par exemple l’apparition ou l’aggravation de la pathologie ; la découverte d’une pollution…) ;

→  Des données scientifiques reconnues et crédibles ;

→  Des données toxicologiques ou épidémiologiques, afin d’établir une probabilité de lien de causalité entre la pollution et l’apparition ou l’aggravation de la pathologie.

En toute hypothèse, il est important de souligner que toute victime doit avoir une démarche proactive pour constituer des preuves.

En effet, plus le dossier sera solide, plus la probabilité d’obtenir réparation des préjudices sera élevée.

Si vous avez un problème de santé environnementale, n’hésitez pas à contacter un avocat en droit de l’environnement !

Que retenir ?

D’ici 2100, l’épuisement des écosystèmes terrestres risque d’annuler les progrès de la médecine moderne.

Il est donc essentiel de reconnaître l’interdépendance de la santé humaine et de la préservation des ressources naturelles et de la biodiversité. Et d’agir en conséquence.

En contentieux de la santé environnementale, le lien de causalité direct et certain entre une pollution diffuse et un dommage à la santé humaine est souvent difficile à établir.

Or récemment, le contentieux a évolué vers une indemnisation du préjudice résultant d’une pollution diffuse et multifactorielle.

Ainsi, le préjudice d’anxiété est étendu à toute personne exposée à des substances nocives ou toxiques générant un risque élevé de développer une pathologie grave.

L’utilisation de données scientifiques dans le contentieux peut permettre de réparer les dommages causés par des pollutions diffuses et multifactorielles. Et ce, en apportant des preuves établissant une probabilité de lien de causalité.

C’est pourquoi il est essentiel que toute victime de pollution constitue un dossier solide (constat d’huissier, rapports d’expertise, données scientifiques, dossier médical, etc.). Un dossier étayé augmentera les chances d’obtenir réparation de leurs préjudices.

Références

Définition de la santé environnementale : Déclaration sur l’action pour l’environnement et la santé, Conférence de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) sur l’environnement et la santé, Helsinki, 1994.

Fondement de la responsabilité délictuelle : article 1240 du code civil

Présomptions de causalité admises en présence de preuves graves, précises et concordantes : article 1382 du code civil 

Affaire Paul François c/ Monsanto – Admission de l’exposition à un pesticide en tant que dommage corporel : Cass. 1re civ., 21 oct 2020, n°19-18.689 

Préjudice d’anxiété reconnu pour toute exposition aux substances nocives ou toxiques : Cass. soc., 11 sept. 2019, n° 17-24.879

Partagez cet article