Lanceur d’alerte : un statut protecteur au service de la citoyenneté

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Lanceur d'alerte
Lancer l’alerte, c’est diffuser des informations concernant des actes illicites, dans l’intérêt général.

Les personnes qui lancent une alerte considèrent qu’il doit être mis fin à ces activités menaçant l’intérêt général ou que des mesures palliatives doivent être prises.

Les lanceurs d’alerte permettent la révélation et/ou la prévention des failles et dysfonctionnements de nos sociétés.

L’alerte a pour objet de protéger les principes des droits de l’homme et de l’État de droit qui sous-tendent toute société démocratique.

Aussi, leurs actions ont permis de grandes avancées, notamment concernant la lutte anti-corruption et la santé.

Cet article fait le point sur le statut de lanceur d’alerte et ses enjeux. Si vous souhaitez lancer l’alerte, consultez un avocat environnement !

>> Lanceur d’alerte connu : vous en souvenez-vous ?

Vous souvenez-vous de Daniel Ellsbert (Pentagon Papers – 1971), Edward Snowden (surveillance de masse par la NSA – 2013), Julian Assange (Wilikeaks  – 2006), Erin Brokovich (pollution d’eau potable en Californie – 1996), Chelsea Manning (bavures militaires américaines en Irak et en Afghanistan – 2010), Antoine Deltour et Raphaël Halet (Luxleaks – 2015) ou, en France, de Nicole-Marie Meyer (corruption dans l’administration – 1990 et 2004), Pierre Méneton (effets néfastes de l’excès de sel dans l’alimentation – 1998), Denis Robert (Clearstream – 2001) ou André Cicolella (perchloroéthylène – 1994) ?

Ces personnes ont en commun d’avoir divulgué des informations sensibles dans un but d’intérêt général.

En avril 2018, certains membres de Greenpeace étaient condamnés à des peines d’amende et d’emprisonnement pour intrusion dans des centrales nucléaires. Ils revendiquaient le statut de lanceurs d’alerte.

Les poursuites et condamnations des militants de Greenpeace posent plus largement la question du statut et de l’effectivité de la protection des lanceurs d’alerte, dont Greenpeace se réclamait.

>> Années 1990 : les premiers pas du lanceur d’alerte

En 1996, Francis Châteauraynaud a créé la notion de« lanceur d’alerte » à partir du terme anglais « whistleblower  ».

En France, l’un des premiers lanceurs d’alerte est André Cicocella.

Chercheur à l’INRS (Institut national de recherche et de sécurité), M. Cicolella a étudié les éthers de glycol et dénoncé leurs effets cancérogènes probables.

André Cicolella a été licencié pour faute grave le 10 mai 1994. Au terme d’une procédure de 6 ans, la Cour de cassation lui a donné raison, qui a considéré que son licenciement était injustifié en vertu du principe de « l’indépendance du chercheur  » (Cass. Soc. 11 octobre 2000, n° 98-45276).

Par la suite, André Cicocella a poursuivi sa dénonciation des molécules cancérigènes, notamment concernant les perturbateurs endocriniens.

Son action scientifique a conduit à l’interdiction du perchloroéthylène dans les pressings à compter du 1er mars 2013 et à l’interdiction du Bisphénol A dans les biberons en 2015.

André Cicocella a également fondé le Réseau Environnement-Santé, association de santé environnementale, et a œuvré pour la reconnaissance du statut de lanceur d’alerte.

>> Historique du statut de lanceur d’alerte

Les prémisses de la reconnaissance du statut de lanceur d’alerte se trouvent dans une première loi adoptée le 13 novembre 2007.

Cette loi protège le lanceur d’alerte qui a « relaté ou témoigné, de bonne foi, soit à son employeur, soit aux autorités judiciaires ou administratives, de faits de corruption dont il aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions » (art. 9).

A la suite du scandale du Mediator dénoncé par Irène Frachon à partir de 2007, une loi du 29 décembre 2011 accorde une protection dans les mêmes conditions que la loi du 13 novembre 2007 pour témoignage de faits « relatifs à la sécurité sanitaire des produits mentionnés à l’article L. 5311-1 dont elle aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions ».

Ces textes restaient sectoriels, limités à la corruption et au secteur pharmaceutique.

Une protection plus générale est adoptée avec la loi n° 2013-316 du 16 avril 2013 dite « loi Blandin » relative à l’indépendance de l’expertise en matière de santé et d’environnement et à la protection des lanceurs d’alerte.

Cette loi a consacré l’existence des « lanceurs d’alerte » pour la santé publique et l’environnement.

La loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 dite « loi Sapin II » relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique a redéfini le statut de lanceur d’alerte.

D’une part, cette loi réduit le champ des personnes susceptibles d’être protégées par ce statut :
  ✔️ en supprimant les personnes morales, et
  ✔️ en ajoutant la condition du désintéressement

D’autre part, les alertes ne sont plus limitées à la santé et à l’environnement : elles concernent tout acte illicite portant atteinte à l’intérêt général.

La notion de désintéressement est floue. Elle peut être utilisée pour considérer que les militants ne sont pas désintéressés, dès lors qu’ils sont considérés comme « anti-nucléaires » (dans le cas des militants de Greenpeace par exemple).

Le dispositif de protection des lanceurs d’alerte est passé du code de la santé publique dans la loi Blandin, au code du travail dans la loi Sapin 2, ce qui révèle un changement de philosophie.

>> 2022 : Elargissement du statut de lanceur d’alerte

La loi n° 2022-401 du 22 mars 2022 dite « loi Waserman » visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte transpose la directive européenne (UE) 2019/1937 du 23 octobre 2019 sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union.

La loi adopte une définition large de la notion de lanceur d’alerte :

« Un lanceur d’alerte est une personne physique qui signale ou divulgue, sans contrepartie financière directe et de bonne foi, des informations portant sur un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l’intérêt général, une violation ou une tentative de dissimulation d’une violation d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, du droit de l’Union européenne, de la loi ou du règlement. Lorsque les informations n’ont pas été obtenues dans le cadre des activités professionnelles mentionnées au I de l’article 8, le lanceur d’alerte doit en avoir eu personnellement connaissance ».

Cette nouvelle définition :

  • remplace la notion floue de désintéressement par celle d’absence de contrepartie financière directe ;
  • prévoit expressément que les informations peuvent être obtenues en dehors du cadre des activités professionnelles.


De plus, la loi :
  => simplifie le processus de signalement pour bénéficier d’une protection ;
  => instaure une immunité pénale pour les lanceurs d’alerte ;
  => renforce les sanctions contre les « étouffeurs d’alerte » ;
  => introduit le rôle de facilitateur et son ouverture aux organisations à but non lucratif soutenant les lanceurs d’alerte. Ainsi, les facilitateurs peuvent bénéficier des mêmes protections que les lanceurs d’alerte.

>> En pratique, comment lancer l’alerte ?

➡️  Le lanceur d’alerte peut choisir entre le signalement interne et le signalement externe à l’autorité compétente, au Défenseur des droits, à la justice ou à un organe européen.

La liste des autorités compétentes pour recueillir et traiter les alertes externes est fixée par le décret n° 2022-1284 du 3 octobre 2022.

➡️  Le Défenseur des droits oriente ou réoriente tout lanceur d’alerte « vers les autorités compétentes » et veille « aux droits et libertés de cette personne ».

➡️  La divulgation publique n’est possible qu’en cas :

  • d’absence de traitement à la suite d’un signalement externe dans un certain délai ;
  • de « danger grave et imminent » ou pour les informations obtenues dans un cadre professionnel en cas de « danger imminent ou manifeste pour l’intérêt général » ;
  • de risque de représailles ou si le signalement n’a aucune chance d’aboutir.


En cas de signalement ou de divulgation publique anonyme réalisée dans le respect des conditions du régime de la divulgation publique susvisée, les personnes ayant vu leur identité révélée peuvent bénéficier du statut de lanceur d’alerte.

➡️  Les employeurs de plus de 50 salariés doivent mettre en place un système de signalement de l’information.

➡️  POINT DE VIGILANCE : Les documents couverts par le secret défense, le secret médical, le secret des délibérations judiciaires, le secret de l’enquête ou de l’instruction judiciaires ou le secret professionnel entre avocats et clients sont exclus des documents pouvant être produits au soutien de l’alerte.

Cette disposition privilégie le garde-fou nécessaire que constitue le secret dans certains cas par rapport à la possibilité pour le lanceur d’alerte de constituer des preuves.

>> Comment est protégé le lanceur d’alerte ?

➡️   Un lanceur d’alerte est protégé dans la mesure où il ne peut :

  • faire l’objet de mesures de représailles (suspension, mise à pied, rétrogradation…) ni de menaces ou tentatives de recourir à des mesures de représailles ;
  • être inquiété civilement pour les préjudices que son signalement de bonne foi aura causés ;
  • être inquiété pénalement pour avoir intercepté et emmené des documents confidentiels liés à son alerte, contenant des informations dont il aura eu accès de façon licite.
 

➡️   Le juge peut accorder une provision pour les frais de justice au lanceur qui conteste une mesure de représailles ou une procédure « bâillon ». Le juge peut rendre cette provision définitive à tout moment, c’est-à-dire même si le lanceur d’alerte perd son procès.

➡️   Le délit d’entrave au signalement est sanctionné d’un an d’emprisonnement et 60.000 euros d’amende.

Cette sanction, si elle peut paraître dissuasive, ne paraît pas être à la hauteur des sommes en jeu dans les scandales révélés par le passé.

>> Quelles sanctions à l’encontre des lanceurs d’alerte ?

Les sanctions encourues par une personne ne respectant pas les critères légaux sont les suivantes :

  • en cas de fait partiellement inexacts : dénonciation calomnieuse ;
  • en cas de diffusion publique : diffamation.

 

>> Le secret des affaires : un contre-feu organisé ?

La loi n° 2018-670 du 30 juillet 2018 relative à la protection du secret des affaires transpose la directive 2016/943/UE du 8 juin 2016 sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulguées.

Les informations protégées au titre du secret des affaires répondent aux critères suivants (art. L. 151-1 du code de commerce) :

✔️ Information qui n’est pas, en elle-même ou dans la configuration et l’assemblage exacts de ses éléments, généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d’informations en raison de leur secteur d’activité
✔️  Information qui a une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret
✔️ Information qui fait l’objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret

Il est interdit de divulguer les informations protégées au titre du secret des affaires « pour révéler, dans le but de protéger l’intérêt général et de bonne foi, une activité illégale, une faute ou un comportement répréhensible, y compris lors de l’exercice du droit d’alerte défini à l’article 6 de la loi [ Sapin II ] » (art. L. 151-8 du code de commerce).

Toute atteinte au secret des affaires engage la responsabilité civile de son auteur (art. L 152-1 du code de commerce).

La transposition de la directive sur le secret des affaires rend l’alerte d’autant plus difficile que toute divulgation pourra être considérée comme le dévoilement d’un process de l’entreprise. Les conditions pour ne pas être sanctionné à ce titre sont très strictes.

>> La Maison des lanceurs d’alerte

Les témoignages de lanceurs d’alerte ont un point commun : la solitude dans laquelle ils se sont tous trouvés au moment de leur(s) signalement(s).

Pour les soutenir concrètement, la Maison des Lanceurs d’alerte a été créée en octobre 2018.

Fondée par 17 organisations, la Maison des Lanceurs d’alerte s’est fixée 2 missions pour oeuvrer à la protection des lanceurs d’alerte :

  • accompagner les lanceurs d’alerte
  • plaidoyer pour une meilleure protection des lanceurs d’alerte.
lanceur d'alerte

Que retenir ?

Les lanceurs d’alerte sont indispensables pour révéler des faits et comportements contraires à l’intérêt général.

Le lanceur d’alerte peut choisir entre le signalement interne et le signalement externe à l’autorité compétente, au Défenseur des droits, à la justice ou à un organe européen.

La création de la Maison des lanceurs d’alerte en 2018 permet d’apporter un soutien essentiel aux citoyens qui souhaitent lancer l’alerte, dans un but d’intérêt général.

En effet, les lanceurs d’alerte sont souvent sous pression et isolés, car leurs actions entrent directement en conflit avec de nombreux intérêts (financiers, politique, etc.).

La loi du 21 mars 2022 a renforcé la protection des lanceurs d’alertes, notamment en :

=> simplifiant le processus de signalement,
=> instaurant une immunité pénale pour les lanceurs d’alerte, et
=> permettant l’octroi aux lanceurs d’alerte d’une provision pour les frais de justice éventuels.

Références

► Recommandations du Conseil de l’Europe CM/Rec(2014)7 : La protection des lanceurs d’alerte

► Guide pratique à l’usage du lanceur d’alerte de l’ONG Transparency International (2017)

► Guide Orientation et protection des lanceurs d’alerte, du Défenseur des Droits (2017)

► Loi n° 2013-316 du 16 avril 2013 dite « loi Blandin  » relative à l’indépendance de l’expertise en matière de santé et d’environnement et à la protection des lanceurs d’alerte

► Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 dite « loi Sapin II » relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique

► Loi n° 2022-401 du 22 mars 2022 dite « loi Waserman » visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte

► Présentation de la loi du 21 mars 2022, Vie-publique.fr

► Décret n° 2022-1284 du 3 octobre 2022 relatif aux procédures de recueil et de traitement des signalements émis par les lanceurs d’alerte et fixant la liste des autorités externes

► Directive (UE) 2016/943 du 8 juin 2016 sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués (secrets d’affaires) contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites

► Loi n° 2018-670 du 30 juillet 2018 relative à la protection du secret des affaires

► Circulaire du 19 juillet 2018 relative à la protection des lanceurs d’alerte dans la fonction publique

 Directive (UE) 2019/1937 du 23 octobre 2019 sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union

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