ICPE et contrats : 5 points clefs pour comprendre et sécuriser vos contrats

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Il existe environ 500 000 installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) en France.

La réglementation ICPE encadre les émissions polluantes des activités industrielles et agricoles.

Cette réglementation est centrale car elle protège notamment la santé publique et la nature. Il s’agit de protéger l’intérêt général.

La police administrative des ICPE étant d’ordre public, cela a un impact sur les contrats conclus entre les personnes privées.

Le contrat est un outil qui permet la gestion des “risques environnementaux” entre les parties.

Dans la plupart des situations, la rédaction d’une clause environnementale spécifique est judicieuse, car cela sécurise les relations contractuelles. Adieu les imprévus et les conséquences financières désastreuses !

Mais souvent, les contrats ne contiennent pas de clause environnementale. L’articulation avec la réglementation ICPE n’étant pas anticipée, cela devient source de difficultés.

Cet article vise à présenter les 4 points clefs pour comprendre comment s’articulent le droit des ICPE et les contrats et comment sécuriser vos contrats.

ICPE et contrats

➤ Point clef n°1 : Quels sont les 11 intérêts protégés par le droit des ICPE ?

La réglementation relative aux installations classées pour la protection de l’environnement vise à prévenir, empêcher et gérer les risques inhérents à ces installations.

Le régime juridique des ICPE est fixé par les articles L. 511-1 et suivants du code de l’environnement.

Les 11 intérêts protégés par la réglementation ICPE sont :

  • la commodité du voisinage
  • la santé, la sécurité et la salubrité publiques
  • l’agriculture
  • la protection de la nature, de l’environnement et des paysages
  • l’utilisation rationnelle de l’énergie
  • la conservation des sites et des monuments ainsi que le patrimoine archéologique

Le Conseil d’État a considéré ces intérêts comme des « motifs d’intérêt général » (CE, 23 décembre 2011, n° 353113).

La Cour de cassation a jugé plus particulièrement que l’obligation légale de mise en sécurité et de remise en état d’un site ICPE participait à « l’intérêt général de protection de la santé ou de la sécurité publique et de l’environnement » (Cass. civ. 3, 11 mai 2022, n° 21-16.348).

 ➡  Focus sur la notion d’intérêt général

En France, l’intérêt général est une notion floue qui n’est pas définie par la loi et qui n’a pas de réelle valeur constitutionnelle.

C’est une situation paradoxale puisque l’action administrative trouve sa justification et sa finalité dans la recherche de l’intérêt général, et s’exerce dans le respect de celui-ci et sous le contrôle de la justice.

En 1999, le Conseil d’État s’est penché sur cette notion et en a esquissé une définition :

« l’intérêt général, qui exige le dépassement des intérêts particuliers, est (…) l’expression de la volonté générale, ce qui confère à l’État la mission de poursuivre des fins qui s’imposent à l’ensemble des individus, par-delà leurs intérêts particuliers » (CE, « Réflexions sur l’intérêt général », Rapport public 1999).

➤ Point clef n°2 : La police administrative spéciale des ICPE est d’ordre public

 ➡  Focus sur les notions d’ordre public et de police administrative générale

ORDRE PUBLIC => Parmi l’ensemble des règles normatives applicables en France, il existe des principes, écrits ou non, qui sont considérés comme fondamentaux. Pour cette raison, ces principes imposent d’écarter les effets des contrats conclus par les personnes privées.

POLICE ADMINISTRATIVE GÉNÉRALE => La police administrative est l’ensemble des activités normatives, répressives et matérielles accomplies par les autorités administratives.

Elle n’a pas pour objectif de prévenir ou de réprimer une infraction correctionnelle ou criminelle ; il ne s’agit pas de droit pénal.

La police administrative vise à assurer le bon ordre dans la collectivité ou à l’intérieur des services publics et à protéger l’intégrité matérielle du domaine public.

Pour cela, elle prévient ou met fin aux atteintes notamment :

  • au bon ordre
  • à la sûreté et à la sécurité publique
  • à la tranquillité publique
  • à la salubrité publique

La police administrative poursuit donc un but d’ordre public qui s’impose à la volonté privée.

 ➡  Focus sur la police administrative spéciale des ICPE
police administrative spéciale des ICPE

Les polices administratives spéciales sont des missions de police exercées par une autorité désignée afin de sauvegarder un intérêt public spécifiquement déterminé par un texte.

Tout comme la police administrative générale, la police administrative spéciale des ICPE est d’ordre public.

Cette police administrative spéciale relève du préfet de département sur la proposition de l’inspection des ICPE.

Dans l’exercice de ses pouvoirs de police, le préfet doit prescrire des mesures de nature à assurer la protection des 11 intérêts visés par l’article L. 511-1 du code de l’environnement.

Ainsi, la police administrative des ICPE obéit à des motifs d’intérêt général.

➤ Point clef n°3 : ICPE et contrat : le transfert contractuel des obligations ICPE n’est PAS opposable à l’administration

➡️   Il est IMPOSSIBLE d’opposer à l’administration le transfert contractuel des obligations imposées par le droit des ICPE.

Le fait que la police spéciale des ICPE soit d’ordre public a une conséquence majeure : ce régime juridique s’impose à la volonté privée.

Il n’est pas possible d’y déroger via un contrat.

Ainsi, les contrats ne sont pas opposables à l’administration.

Lorsque l’exploitation d’une ICPE est mise à l’arrêt définitif, l’exploitant doit remettre son site dans un état tel qu’il ne puisse pas porter atteinte aux 11 intérêts visés par l’article L. 511-1 du code de l’environnement.

La responsabilité de la remise en état du site pèse sur le dernier exploitant ICPE.

Le dernier exploitant ICPE ne peut s’exonérer de cette obligation via un contrat privé, puisque les contrats ne sont pas opposables à l’administration.

Les obligations imposées par la réglementation ICPE sont indifférentes au statut contractuel des parties. 

Que les contractants soient vendeur, acquéreur, bailleur ou locataire est sans incidence : c’est à l’exploitant ICPE de remplir ses obligations vis-à-vis de l’administration.

Ainsi, les contrats de droit privé ne peuvent pas transférer les obligations au titre de la législation sur les ICPE (CE, 11 avril 1986, Ministre de l’Environnement c/ Société des produits chimiques Ugine-Kuhlman, n° 62234 ; CAA de Nancy, 27 septembre 2004, n° 00NC01000).

ICPE et contrat

➡️   Exception : le mécanisme de tiers intéressé permet de transférer les obligations de remise en état à un tiers

La loi du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové a créé le mécanisme de tiers intéressé dans le code de l’environnement, via l’article L. 512-21.

Dans le cadre de la cessation d’activité d’une ICPE, un tiers intéressé peut demander au préfet de département à se substituer à l’exploitant ICPE.

Le tiers intéressé va réaliser les travaux de réhabilitation en fonction de l’usage qu’il envisage pour le terrain concerné. Les 8 types d’usage futur existants sont listés au I. de l’article D. 556-1 A du code de l’environnement.

Pour tout comprendre sur les 8 types d’usage futur d’une ICPE, vous pouvez consulter notre article !

Avant la phase de réhabilitation, ce tiers intéressé peut également demander à se substituer à l’exploitant pour réaliser tout ou partie des mesures de mise en sécurité de l’installation.

Ainsi, exceptionnellement, l’article L. 512-21 du code de l’environnement prévoit une hypothèse légale de transfert des obligations administratives imposées par le droit des ICPE à l’exploitant.

Ce transfert est validé à plusieurs reprises par la préfecture ; il ne s’agit donc pas d’un simple transfert contractuel.

➤ Point clef n°4 : ICPE et contrat : la clause environnementale afin d’aménager contractuellement les obligations ICPE entre personnes privées

Il est possible d’aménager contractuellement la prise en charge des obligations ICPE entre personnes privées.

Même si ces aménagements contractuels ne sont pas opposables à l’administration, ils sont opposables entre les personnes privées et ont donc des conséquences en termes financiers et en termes de responsabilité.

Afin de sécuriser la gestion des risques environnementaux, l’intégration d’une clause environnementale est recommandée.

La rédaction d’une clause environnementale spécifique est judicieuse, car cela sécurise les relations contractuelles.

Adieu les imprévus et les conséquences financières désastreuses !

Tous les contrats peuvent donc inclure des clauses environnementales qui aménagent les obligations environnementales :

  • contrat de vente d’un bien immobilier
  • contrat de bail commercial
  • contrat de cession de parts d’une société
  • contrat de fusion-absorption
  • contrat de garantie d’actif et de passif
  • etc.

Le cabinet Kaizen Avocat intervient régulièrement pour rédiger des clauses environnementales qui vont sécuriser votre contrat et aménager contractuellement les obligations prévues par la réglementation ICPE.

ICPE et contrats

Exemple avec un contrat de bail : le bailleur peut faire peser sur le preneur les conséquences financières de l’obligation de remise en état du site

L’arrêt de la Cour de cassation n° 01-11.704 du 17 décembre 2002 est un bon exemple d’aménagement de l’obligation de remise en état du site.

Dans cette affaire, le bail commercial prévoyait que le locataire prendrait tous les travaux à sa charge quels que soient ceux-ci, y compris ceux réservés au propriétaire.

À ce bail était joint un état des lieux établi lors du départ du précédent locataire qui précisait que le bailleur exigeait, en reprenant les lieux, qu’ils soient débarrassés de la décharge et des fûts métalliques.

Or, le précédent locataire n’avait pas rempli son obligation.

La Cour de cassation a jugé que les articles 1719 et 1720 du code civil, qui prévoient les obligations de délivrance et d’entretien de la chose louée supportées par le bailleur, ne sont pas d’ordre public et peuvent donc être écartées par contrat.

Autrement dit, par le biais du contrat de bail, il est possible pour le bailleur de faire peser la dépollution du site sur le locataire.

Attention : l’exploitant ICPE demeure responsable vis-à-vis de l’administration.

➤ Point clef n°5 : ICPE et contrat : deux points de vigilance à observer en toute circonstance

➡️   1er point de vigilance : bien sécuriser un contrat avant sa signature grâce à une clause environnementale

Avant de signer un contrat, il est nécessaire de lire attentivement les clauses contenues dans le contrat !

Les conséquences de la signature d’un mauvais contrat peuvent générer des risques importants (risques financier et juridique).

La rédaction d’une clause environnementale spécifique est judicieuse, car cela sécurise les relations contractuelles.

Concernant le contrat de bail, vous pouvez consulter notre article pour connaître les 7 astuces pour sécuriser la relation bailleur-locataire.


➡️  2ème point de vigilance : le droit des ICPE s’applique, même pour les activités exploitées illégalement !

Puisque la police des ICPE est d’ordre public, le simple défaut de déclaration, d’enregistrement ou d’autorisation de l’activité exercée ne fait pas échapper à la réglementation applicable aux ICPE (Cass. civ. 3, 8 juillet 2014, n° 13-17.404).

Ainsi, avant de signer un contrat, il est essentiel de se renseigner sur les installations précédemment exploitées, légalement ET illégalement.

➡ Si vous souhaitez plus de renseignements, vous pouvez faire appel à un avocat en droit de l’environnement.

Que retenir ?

Central dans notre système juridique, le contrat constitue un outil d’application du droit de l’environnement.

Le régime juridique des ICPE protège 11 intérêts prévus à l’article L. 511-1 du code de l’environnement.

Ces intérêts ont été considérés par le Conseil d’État comme des « motifs d’intérêt général ».

Ces intérêts sont protégés par la police administrative spéciale des ICPE qui est d’ordre public.

Le transfert contractuel des obligations administratives imposées par le droit des ICPE n’est PAS opposable à l’administration.

En revanche, il est recommandé d’aménager la prise en charge des obligations administratives imposées par le droit des ICPE entre personnes privées, grâce à une clause environnementale.

Références

► La notion d’intérêt général : CE, « Réflexions sur l’intérêt général », Rapport public 1999

► Les intérêts protégés par le droit des ICPE :

► La notion d’ordre public : Gérard Cornu, Association Henri Capitant, « Vocabulaire juridique », Puf

► La notion de police administrative générale :


► La police des ICPE est d’ordre public : Cass. civ. 3, 8 juillet 2014, n° 13-17.404

► L’impossibilité de transférer par voie contractuelle les obligations imposées par le droit des ICPE :


► Exemple de clause environnementale : Cass. civ. 3, 17 décembre 2002, n° 01-11.704

► Substitution par le tiers intéressé dans le cadre de la cessation d’activité d’une ICPE : Article L. 512-21 du code de l’environnement

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