Date de publication : 02/2024
Dernières mises à jour : 09/2024
En matière civile, la procédure judiciaire est constituée de plusieurs étapes.
Ainsi, elle commence par l’introduction de l’instance.
Après, il y a une procédure contradictoire, au cours de laquelle les parties échangent leurs arguments.
Cette phase se termine par l’audience de plaidoiries.
A la suite de l’audience, le Tribunal judiciaire rend un “jugement”. La Cour d’appel rend un “arrêt”.
Et c’est le début de la phase d’exécution de la décision de justice !
Une décision de justice peut être exécutée spontanément par la partie perdante.
Mais lorsque ce n’est pas le cas, il faut procéder à l’exécution forcée du jugement. Cela permet de contraindre la partie perdante à s’exécuter et à payer les intérêts qui sont dus.
Concrètement, comment cela se passe ? Comment se déroule l’exécution des jugements ? Qui est chargé de faire exécuter la décision ? Est-ce qu’il y a des frais ? L’appel et le pourvoi en cassation ont-ils une incidence sur l’exécution ? Que faire en cas de difficulté ?
Nous vous proposons dans cet article une synthèse des principales étapes et règles concernant l’exécution des décisions de justice en matière civile, afin de mieux comprendre le déroulement de cette ultime phase contentieuse.
Cet article détaille donc :
- les conditions à remplir pour que la partie perdante puisse être contrainte d’exécuter la décision ;
- le calcul des intérêts dus par la partie perdante ;
- et les principaux intervenants à la phase d’exécution forcée.
PRÉCISION : les éléments qui suivent concernent les parties perdantes qui sont des personnes privées et les décisions rendues par les juridictions civiles.
1. Exécution forcée des jugements : quelles sont les 3 conditions à rassembler ?
➤ Condition n°1 : le caractère exécutoire du jugement
Pour être exécutée, la décision doit être « exécutoire ».
Un jugement est exécutoire dans deux cas :
☑️ soit le jugement prévoit “l’exécution provisoire”;
☑️ soit le jugement est devenu définitif et a “force de chose jugée”.
EXÉCUTION PROVISOIRE : L’exécution provisoire est de droit. La loi prévoit que les jugements rendus en première instance doivent être exécutés par les parties perdantes et que l’appel n’est pas susceptible de suspendre les effets du jugement.
Dans ce cas, c’est assez simple car la partie perdante peut être contrainte de s’exécuter.
Si la partie perdante fait appel et entend s’opposer à l’exécution provisoire, elle doit saisir le premier président de la cour d’appel d’une demande visant à écarter l’exécution provisoire.
ATTENTION : la loi ou le Tribunal peuvent écarter l’exécution provisoire (le jugement contient alors la formule « dit n’y avoir lieu à exécution provisoire »).
Dans ce cas, si la partie perdante fait appel, la partie gagnante ne peut pas la contraindre à exécuter le jugement et doit attendre l’issue du litige en appel.
DÉCISION DÉFINITIVE : Une décision a « force de chose jugée » lorsque le jugement devient définitif. Les parties ne disposent d’aucune voie de recours permettant de suspendre les effets du jugement.
Exemples de décisions de justice qui ont “force de chose jugée” :
☑️ le jugement rendu par le Tribunal judiciaire en premier et dernier ressort
Ce sont les dossiers dans lesquels l’appel n’est pas possible, par exemple lorsque le montant du préjudice est inférieur à 5 000 €
☑️ l’arrêt rendu par la Cour d’appel
L’arrêt doit impérativement être exécuté. Le pourvoi en cassation n’a aucune incidence (sauf exception, par exemple en matière de divorce)
>> Références : articles 500 et 501 du code de procédure civile (force de chose jugée), article 539 du code de procédure civile (principe du recours suspensif), articles 514 et suivants du code de procédure civile (exécution provisoire des jugements)
➤ Condition n°2 : le jugement contient la formule exécutoire
La formule exécutoire doit être apposée au bas de la décision de justice transmise aux parties au procès.
Il s’agit d’une mention qui permet au commissaire de justice d’exécuter la décision : « En conséquence, la République française mande et ordonne à tous commissaires de justice, sur ce requis, de mettre ledit arrêt (ou ledit jugement, etc.) à exécution (…) ».
Dans certains cas, la décision est rendue dans un premier temps sans la formule exécutoire car une formalité est encore requise avant que le jugement ne puisse effectivement être exécuté.
C’est par exemple le cas des décisions anéantissant une vente immobilière : puisque la propriété du bien change, le jugement doit être préalablement être publié au service de la publicité foncière.
Sans la formule exécutoire, la décision de justice peut toujours être exécutée spontanément. En revanche, le débiteur ne peut pas y être contraint.
>> Référence : article 502 du code de procédure civile
➤ Condition n°3 : la notification du jugement à la partie perdante
Pour contraindre la partie perdante à exécuter le jugement, il faut s’assurer qu’elle a bien eu connaissance de la décision.
C’est pourquoi la décision doit lui être signifiée officiellement par un huissier. C’est ce qu’on appelle la “signification” de la décision de justice.
Si la partie perdante ne s’exécute pas malgré la signification du jugement, les mesures d’exécution forcée peuvent être mises en œuvre à l’encontre de la partie perdante.
Lorsque la décision est rendue dans un litige dans lequel la représentation par avocat est obligatoire, l’avocat de la partie qui a obtenu gain de cause doit également notifier la décision à l’avocat de la partie adverse.
IMPORTANT : La signification du jugement est essentielle car elle permet de faire courir le délai d’appel. Cela fait également courir les intérêts majorés.
>> Références : article 503 du code de procédure civile (principe de la notification préalable pour permettre l’exécution forcée), articles 651 et suivants du code de procédure civile (règles applicables à la notification)
FOCUS SUR LES CONDAMNATIONS IN SOLIDUM : lorsqu’il y a plusieurs parties perdantes et que celles-ci sont condamnées « in solidum », cela signifie que chacune d’entre elles est responsable pour le tout au profit du débiteur.
La partie qui a obtenu gain de cause peut donc solliciter le paiement de la totalité de la condamnation auprès d’une seule partie.
2. Exécution forcée des jugements : la partie perdante doit payer des intérêts en plus de la condamnation principale !
Lorsque le jugement condamne au paiement d’une somme, l’exécution de justice s’accompagne du paiement d’intérêts par la partie condamnée.
➤ Les intérêts au taux légal
Il s’agit tout d’abord des intérêts au taux légal, qui sont dus même si le jugement ne le prévoit pas spécifiquement.
Les intérêts au taux légal sont dus sur le montant de la condamnation principale ainsi que sur la condamnation aux dépens et à l’article 700 du code de procédure civile.
Pour en savoir plus sur l’article 700 et les dépens, vous pouvez consulter notre article dédié à la question.
En vertu de l’article 1231-7 du code civil, les intérêts au taux légal sont dus à compter du prononcé du jugement. Si le juge décide de faire courir les intérêts à partir d’une autre date, il doit le préciser.
➤ Les intérêts majorés
Si la partie perdante ne s’exécute pas, le taux d’intérêts au taux légal est majoré de 5 points, deux mois après le jour où la décision a été notifiée à la partie perdante (à condition qu’elle soit exécutoire !).
EN PRATIQUE, dans le cas d’un jugement exécutoire qui serait rendu un 2 janvier et signifié un 15 février :
- Taux d’intérêt au taux légal : dus à compter du jugement, soit le 2 janvier (sauf si le jugement en dispose autrement
- Majoration de 5 points : due 2 mois à compter de la signification par huissier, soit le 15 avril (2 mois après la signification du 15 février)
Si le jugement n’est pas assorti de l’exécution provisoire, il ne devient exécutoire qu’à compter de l’expiration du délai d’appel. Donc le délai de deux mois pour la majoration ne peut courir qu’à compter de cette date, si le jugement a été préalablement signifié.
S’il est fait appel du jugement, la question des intérêts dépend de l’issue de la procédure d’appel :
Comme le juge de première instance, la Cour d’appel a la faculté de modifier ces dates.
Si l’arrêt de la Cour d’appel est cassé par la Cour de cassation, la partie qui avait reçu les sommes doit les restituer.
La partie qui doit restituer les sommes après un arrêt de la Cour de cassation doit également les intérêts. Ceux-ci sont dus non à compter du jour de la réception des sommes (après le jugement de première instance ou l’arrêt d’appel), mais à compter de la demande de restitution de la partie gagnante après l’arrêt de la Cour de cassation.
➤ Capitalisation des intérêts
La décision de justice peut également prévoir la capitalisation des intérêts, par périodicité annuelle.
C’est-à-dire que les intérêts dûs s’ajoutent au capital initial pour produire eux-mêmes des intérêts.
>> Références : article 1231-7 du code civil (intérêts au taux légal), article L. 313-3 du code monétaire et financier (majoration de 5 points), arrêt n°20-20063 de la Cour de cassation du 12 janvier 2023 (précision sur le point de départ de la majoration), article 1343-2 du code civil (capitalisation des intérêts)
3. Qui intervient lors de l’exécution forcée des jugements ?
➤ Intervenant n°1 : l’avocat
Tout d’abord, l’avocat reste saisi du dossier jusqu’à l’exécution du jugement, si celle-ci débute moins d’un an après que le jugement soit passé en force de chose jugée.
Si ce n’est pas le cas, le client doit à nouveau mandater son avocat.
L’avocat reste donc l’interlocuteur premier de son client pour la phase d’exécution du jugement.
>> Référence : article 420 du code de procédure civile
➤ Intervenant n°2 : l’huissier de justice (également nommé commissaire de justice)
L’huissier est indispensable à l’exécution forcée des décisions de justice.
C’est lui qui :
- signifie la décision à la partie perdante,
- lui délivre un commandement de payer,
- a le pouvoir de mettre en œuvre des mesures d’exécution forcée si nécessaire, dont font partie les saisies mobilières, les saisies des rémunérations et les saisies immobilières.
Il détermine ainsi la mesure d’exécution forcée la plus adaptée au recouvrement de la créance de la partie qui a obtenu gain de cause.
La partie perdante paie tous les frais dus à l’intervention de l’huissier pour ces différentes démarches.
Sauf exécution spontanée, l’huissier de justice intervient obligatoirement dans la phase d’exécution des décisions de justice.
>> Référence : article L. 111-8 du code des procédures civiles d’exécution (paiement des frais d’huissier par la partie perdante)
➤ Intervenant n°3 : la Caisse Autonome des Règlements Pécuniaires des Avocats (la « CARPA »)
Conformément aux obligations déontologiques des avocats et dans le but de sécuriser les paiements, toutes les sommes versées ou reçues pour le compte de leurs clients doivent transiter par la CARPA.
A noter que tous les avocats disposent d’un compte CARPA, en pratique.
En cas de décision judiciaire donnant lieu à une condamnation pécuniaire, les étapes sont les suivantes :
- l’avocat de la partie gagnante transmet la décision à la CARPA et lui demande l’ouverture d’un sous-compte dédié à l’affaire,
- la partie adverse paie les sommes dues sur ce compte CARPA,
- l’avocat de la partie gagnante demande à la CARPA le versement des fonds au profit de son client.
En général, il faut compter un délai minimum de trois semaines pour que la CARPA fasse le virement.
➤ Intervenant n°4 : le juge de l’exécution (le « JEX »)
Si l’exécution de la décision de justice est compliquée, le juge de l’exécution est compétent pour trancher les difficultés.
Ainsi, la partie perdante qui subit une mesure d’exécution forcée par un huissier de justice peut saisir le juge de l’exécution pour contester la régularité de la procédure ou encore demander des délais de paiement.
Toutefois, les délais de paiement sont accordés dans la limite de deux ans.
Le juge de l’exécution a également la faculté d’intervenir sur la majoration de 5 points de l’intérêt au taux légal, pour la supprimer ou pour la réduire.
Dans tous les cas, le juge de l’exécution se prononce au vu de la situation du débiteur (existence de difficultés économiques ou non) et en considération des besoins du créancier.
Enfin, l’avocat est obligatoire devant le JEX, sauf si la créance est inférieure à 10 000 €.
>> Références : articles L. 213-5 à L. 213-7 du code de l’organisation judiciaire (compétence du JEX), article 1343-5 du code civil (délais de paiement)
4. Inexécution de la décision : que se passe-t-il en cas d’appel ou de pourvoi en cassation ?
A partir du moment où la décision est exécutoire, la décision doit être exécutée.
Si les parties condamnées n’exécutent pas la décision et vont en appel ou devant la Cour de cassation, il est possible d’agir !
➤ Devant la Cour d’appel
Si une partie fait appel d’un jugement exécutoire, la partie gagnante qui bénéficie de l’exécution provisoire peut demander la “radiation du rôle”.
La demande de radiation doit intervenir avant le dépôt du mémoire en défense.
Si elle est prononcée, la radiation entraîne un “gel” de l’affaire devant la Cour d’appel.
L’appelant dispose d’un délai de 2 ans pour s’exécuter. S’il ne le fait pas, l’instance en appel s’éteint et le jugement de première instance est définitif.
➤ Devant la Cour de cassation
De la même manière, si un arrêt de Cour d’appel fait l’objet d’un pourvoi en cassation, la partie qui a gagné en appel peut demander la radiation du rôle.
Comme devant la Cour d’appel, le demandeur au pourvoi peut tenter d’échapper à la radiation s’il fait état des difficultés qui seraient causées par l’exécution de la décision.
La partie qui se pourvoit en cassation peut faire état de “conséquences manifestement excessives” ou apporter la preuve de l’impossibilité de s’exécuter.
La demande de radiation peut être faite par le défendeur au pourvoi dès le dépôt de la déclaration de pourvoi. Elle doit dans tous les cas intervenir avant l’expiration du délai dont il dispose pour produire son mémoire en défense.
S’il considère la demande fondée, le premier président de la Cour de cassation rend une ordonnance de radiation. Si l’auteur du pourvoi ne s’exécute pas dans les 2 ans, l’instance s’éteint.
Que retenir ?
L’exécution des décisions de justice est la phase qui suit naturellement le prononcé de la décision.
La partie perdante peut s’exécuter spontanément.
Lorsque la partie perdante ne s’exécute pas spontanément, il est utile de comprendre comment fonctionne l’exécution forcée.
Voici les TROIS CONDITIONS préalables à l’exécution forcée :
N°1 : le caractère exécutoire de la décision
N°2 : l’apposition de la formule exécutoire au bas de la décision
N°3 : la notification de la décision à la partie perdante
Les différents intervenants qui permettent d’obtenir l’exécution forcée des jugements sont :
- l’avocat
- l’huissier de justice
- la Caisse Autonome des Règlements Pécuniaires des Avocats (CARPA)
- le juge de l’exécution (uniquement si la partie perdante le saisit).
En cas d’appel, il peut être opportun de ne pas solliciter l’exécution forcée du jugement, pour éviter les restitutions croisées en cas d’infirmation du jugement.
A RETENIR : la partie perdante doit payer des intérêts ! Plus la partie perdante s’exécute tardivement, plus les intérêts sont élevés.
La vigilance s’impose donc puisque ces intérêts peuvent nettement augmenter le montant des condamnations prononcées par la juridiction.
Références
Sur l’exécution des décisions de justice en général :
► Service-Public.fr : exécution d’une décision du juge civil
► Chambre nationale des commissaires de justice : faire exécuter une décision de justice
► Notion de force de chose jugée : articles 500 et 501 du code de procédure civile
► Principe du recours suspensif : article 539 du code de procédure civile
► Exécution provisoire des jugements : articles 514 et suivants du code de procédure civile
► Formule exécutoire : article 502 du code de procédure civile
► Principe de la notification préalable pour permettre l’exécution forcée : article 503 du code de procédure civile, articles 651 et suivants du code de procédure civile (règles applicables à la notification)
► Obligation de l’avocat : article 420 du code de procédure civile
► Paiement des frais d’huissier par la partie perdante : article L. 111-8 du code des procédures civiles d’exécution
Sur les intérêts :
► Service-Public.fr : Qu’est-ce que l’intérêt légal ?
► Intérêts au taux légal : article 1231-7 du code civil
► Majoration de 5 points : article L. 313-3 du code monétaire et financier
► Précision sur le point de départ de la majoration de 5 points : arrêt de la Cour de cassation du 12 janvier 2023 (n°20-20063)
► Capitalisation des intérêts : article 1343-2 du code civil
► Banque de France : tableau récapitulatif des taux d’intérêt légal depuis 2008
Sur le juge de l’exécution (JEX) :
► Service-Public.fr : saisir le juge de l’exécution (JEX)
► Compétence du juge de l’exécution : articles L. 213-5 à L. 213-7 du code de l’organisation judiciaire
► Délais de paiement article 1343-5 du code civil
Sur les demandes de radiation en cas d’inexécution :
► Pour la Cour d’appel : article 524 du code de procédure civile
► Pour la Cour de cassation : articles 1009-1 à 1009-3 du code de procédure civile