Quel cadre juridique pour réduire la pollution lumineuse ?

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Qui n’a jamais rêvé devant les cieux étoilés ? Devant les étoiles filantes, les nébuleuses et les galaxies ? Le ciel nocturne constitue un trésor pour l’humanité.
Depuis 1992, l’observation du ciel nocturne étoilé est reconnue comme partie intégrante du patrimoine mondial à préserver par l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO).

La nuit est également l’habitat de nombreuses espèces nocturnes. Aujourd’hui, des « trames noires » sont créées pour connecter des réservoirs de biodiversité et des corridors écologiques avec un niveau d’obscurité suffisant pour la biodiversité nocturne.

Cette vie nocturne bouillonnante est malheureusement menacée, notamment par la pollution lumineuse (en croissance exponentielle) ainsi que par les méga-constellations de satellites (Starlink, etc.).

En France, un cadre juridique existe afin de restreindre la pollution lumineuse.
3 raisons motivent cette réglementation :

  • source de perturbations pour la biodiversité (modification du système proie-prédateur, perturbation des cycles de reproduction, des migrations…)
  • gaspillage énergétique
  • privation de l’observation du ciel étoilé


Par ailleurs, la société civile se mobilise afin de sensibiliser le public et les collectivités territoriales. Ainsi, chaque année en octobre a lieu le Jour de la Nuit, grande manifestation nationale de sensibilisation à la pollution lumineuse, à la protection de la biodiversité nocturne et à la beauté du ciel étoilé.

La 14e édition du Jour de la Nuit se déroulera le samedi 15 octobre 2022.

>> Qu’est-ce que la pollution lumineuse ?

La pollution lumineuse est « l’ensemble des nuisances due au halo produit pendant la nuit par des éclairages artificiels excessifs, multiples et prolongés ».

L’Association nationale pour la protection du ciel et de l’environnement nocturne (ANPCEN) définit le phénomène comme « la dégradation de l’environnement nocturne par émission de lumière artificielle entraînant des impacts importants sur les écosystèmes (faune et flore) et sur la santé humaine suite à l’artificialisation de la nuit ».

>> Pourquoi la pollution lumineuse est-elle néfaste, à la fois pour les êtres humains et la biodiversité ?

La pollution lumineuse a un impact très négatif sur la biodiversité, le climat, notre santé et l’observation du ciel. La pollution lumineuse est une des causes de la disparition des insectes.

L’éclairage de la nuit a en effet fortement augmenté partout dans le monde depuis un demi-siècle. L’éclairage artificiel crée un brouillard lumineux qui masque la vision des étoiles et gêne le travail des astronomes.

De ce fait, environ 83 % de la population mondiale vit sous des cieux pollués par la lumière et la Voie lactée est peu visible. L’Europe fait partie des régions les plus illuminées au monde. En ville, nous ne pouvons distinguer qu’une vingtaine d’étoiles, contre plusieurs milliers dans un ciel préservé de toute lumière artificielle.

En outre, la lumière artificielle est source de perturbations intenses pour la biodiversité nocturne : environ 28% des vertébrés et 65% des invertébrés sont en tout ou en partie nocturne.

Toutes ces espèces ont par conséquent besoin d’obscurité. Elles possèdent d’ailleurs des adaptations spécifiques pour vivre de cette façon. Ces spécificités peuvent être d’ordre biologique, morphologique ou comportementale.

Par exemple, les rapaces nocturnes ainsi que les chauves-souris ont de gros yeux afin de capturer un maximum de lumière. À l’inverse, les hérissons possèdent une vue peu développée mais bénéficient d’un odorat ultrasensible afin de détecter ses proies dans l’obscurité. Enfin, certains insectes comme les lucioles ou les verts luisants produisent eux-mêmes de la lumière afin de voir ou de communiquer.

La pollution lumineuse a des effets négatifs sur divers aspects de la vie sauvage nocturne, par exemple :

  1. Sur les relations entre espèces : certains animaux sont davantage visibles par leurs prédateurs et donc plus vulnérables,
  2. Sur la pollinisation : les insectes étant attirés par les sources de lumière artificielle, ne vont plus autant polliniser la végétation,
  3. Sur la fragmentation des habitats nocturnes : certaines espèces ne sont plus capables de franchir des zones éclairées artificiellement et ne peuvent plus accéder à leur zone de reproduction, nourrissage…


La pollution lumineuse provoque également des effets indésirables sur la santé humaine tel que le stress, la fatigue, ou des troubles du sommeil.

En outre, la pollution lumineuse est extrêmement énergivore. L’éclairage est le deuxième poste d’investissement dans les communes en France métropolitaine. Les neuf millions de points lumineux constitués par le seul parc d’éclairage public génèrent une puissance d’environ 1 300 MW. Il s’agit de l’équivalent de la puissance délivrée par une tranche nucléaire récente à pleine charge. La pollution lumineuse contrevient aux objectifs de sobriété énergétique.

>> Quelle est la réglementation applicable à la pollution lumineuse ?

Selon l’article L. 110-2 du code de l’environnement, les lois et règlements organisent le droit de chacun à un environnement sain. Il est du devoir de chacun de veiller à la sauvegarde et de contribuer à la protection de l’environnement, y compris nocturne.

Afin de protéger l’environnement nocturne, la réglementation vise à prévenir les nuisances lumineuses.

Aux termes de l’article L. 583-1 du code de l’environnement, les objectifs de cette réglementation sont :

  • Prévenir ou limiter les dangers ou troubles excessifs aux personnes et à l’environnement causés par les émissions de lumière artificielle
  • Limiter la consommation d’énergie


Concrètement, trois régimes juridiques existent et fixent des périodes d’extinction obligatoires afin de réduire les nuisances lumineuses :

    • les installations lumineuses ;
    • les publicités lumineuses ;
    • et les enseignes lumineuses.
CONCERNANT LES INSTALLATIONS LUMINEUSES, le tableau ci-après résume les périodes d’extinction :
Période d'extinction installations lumineuses
CONCERNANT LES PUBLICITES LUMINEUSES, elles doivent être éteintes entre 1 heure et 6 heures.

Dérogations pour les publicités lumineuses qui sont :
→  installées sur l’emprise des aéroports,
→  supportées par le mobilier urbain affecté aux services de transport et durant les heures de fonctionnement desdits services, à condition, pour ce qui concerne les publicités numériques, qu’elles soient à images fixes.

C’est le décret n°2022-1294 du 5 octobre 2022 qui a harmonisé les règles d’extinction nocturne des publicités et enseignes lumineuses sur tout le territoire.

Le texte est entré en vigueur le lendemain de sa publication. Toutefois, en ce qui concerne les publicités lumineuses supportées par le mobilier urbain, les obligations d’extinctions seront applicables à partir du 1er juin 2023.

CONCERNANT LES ENSEIGNES LUMINEUSES, elles doivent être éteintes entre 1 heure et 6 heures.

Lorsqu’une activité cesse ou commence entre minuit et 7 heures du matin, les enseignes sont éteintes au plus tard une heure après la cessation d’activité de l’établissement et peuvent être allumées une heure avant la reprise de cette activité.

Il peut être dérogé à cette obligation d’extinction lors d’événements exceptionnels définis par arrêté municipal ou préfectoral.

Les enseignes clignotantes sont interdites, à l’exception des enseignes de pharmacie ou de tout autre service d’urgence.

>> Quelles sont les sanctions en cas de non-respect de la réglementation applicable à la pollution lumineuse ?

En cas de violation des dispositions du chapitre « Prévention des nuisances lumineuses » ou des règlements pris pour leur application, l’autorité administrative compétente met en demeure la personne à qui incombe l’obligation d’y satisfaire dans un délai déterminé.

Si, à l’expiration de ce délai, l’intéressé n’a pas déféré à la mise en demeure, l’autorité administrative compétente suspend par arrêté le fonctionnement des sources lumineuses jusqu’à exécution des conditions imposées et prend les mesures conservatoires nécessaires, aux frais de la personne mise en demeure.

En cas de non-respect des plages horaires d’extinction des installations lumineuses, l’autorité administrative peut prononcer une amende de 750€ maximum.

En cas de violation des prescriptions regardant les publicités et enseignes lumineuses, c’est une amende prévue pour les contraventions de 5ème classe qui sera prononcée, soit 1 500€ maximum pour une personne physique ou 7 500€ maximum pour une personne morale.

Dans les faits, les obligations légales d’extinction sont peu respectées et les sanctions ne sont pas du tout appliquées.

Pour remédier à ce phénomène, les mairies peuvent adopter des arrêtés municipaux pour réaffirmer les plages horaires d’extinction obligatoires.

Biodiversité nocturne et ciel étoilé

>> Quels sont les labels favorisant la biodiversité nocturne et le ciel étoilé ?

Le label Réserve Internationale de Ciel Étoilé (RICE)

RICE (Réserve Internationale de Ciel Étoilé) est un label décerné par l’International Dark Sky Association basée au États-Unis. L’IDA a été créé en 1988 avec pour but la protection du ciel nocturne par un programme de labellisation.

RICE récompense une qualité de ciel nocturne exceptionnelle et engage les territoires à mener des actions de réduction de la pollution lumineuse.

Une RICE comprend toujours une région centrale où la noirceur du ciel doit être préservé au maximum. Elle comprend également une zone tampon périphérique, où les différents acteurs s’engagent à protéger le ciel étoilé.

La première RICE a été inaugurée en 2007 au Mont-Mégantic au Canada. Elle est le fruit de l’engagement de 34 villes et villages qui bénéficient à présent d’un accès aux étoiles.

En France, il existe quatre RICE :

  •  2013 : Pic du Midi de Bigorre dans les Hautes Pyrénées
  • 2018 : Parc national des Cévennes en Lozère, c’est la plus grande RICE d’Europe !
  • 2019 : Parc national du Mercantour
  • 2021 : Parc naturel régional de Millevaches en Limousin

 

Le label Villes et villages étoilé

Le label national Villes et villages étoilés est proposé par l’ANPCEN depuis 2009. Il est soutenu par le ministère de la transition écologique et est valable pour une durée de 5 ans.

Les candidatures sont ouvertes aux villes, villages mais également aux territoires tels que les intercommunalités ou les parcs.

Durant l’édition 2019-2020, c’est 364 communes françaises qui ont été labélisées.

Plusieurs démarches peuvent mener à la labélisation :

  • Extinction complète ou partielle de l’éclairage public la nuit
  • Aucune mise en lumière du patrimoine naturel
  • Non-utilisation de la lumière blanche néfaste pour l’environnement

Les « sites d’observation astronomiques »

Un arrêté pris le 27 décembre 2018 fixe la liste des sites d’observation astronomiques exceptionnels.

Il s’agit de :
– le site d’observation de la ferme des étoiles – observatoire du Pic du Midi de Bigorre ;
– l’observatoire de Haute-Provence ;
– l’observatoire du plateau de Calern (de l’observatoire de Côte d’Azur) ;
– le centre d’astronomie Jean-Marc Salomon ;
– l’observatoire de la Couyère ;
– l’observatoire Les Makes ;
– l’observatoire de Château-Renard ;
– le site d’observation du Parc national des Cévennes – observatoire des Pises ;
– l’observatoire des baronnies provençales ;
– le site Planète Mars – Observatoire Hubert Reeves ;
– le centre d’astronomie de Saint-Michel-l’Observatoire.

>> Zéro pollution lumineuse c’est possible ! L’exemple inspirant de la Slovénie

Depuis le 30 août 2007, la Slovénie a adopté la loi antipollution lumineuse la plus restrictive du monde.

Les principaux objectifs de ce texte sont :
    → Empêcher la lumière parasite
    → Réduire la consommation d’énergie

La loi fonctionne sur le principe de « pas de lumière au-dessus de l’horizon » Ainsi, les rayons lumineux ne sont jamais dirigés vers le haut, mais plutôt vers le bas ou à l’horizontale. L’intensité de luminosité est également contrôlée.

En 2007, l’Université de Ljubljana évaluait la consommation d’électricité par habitant pour l’éclairage public à environ 75, 75 kWh. En 2011, cette même estimation s’élevait à 63, 57 kWh/habitant. Soit une baisse de la consommation électrique de 15% par habitant.

>> Les municipalités qui vont plus loin : l’exemple des villes de Paris et Lyon

À Paris, à partir du 1er décembre 2022, les publicités lumineuses présentent dans les rues de Paris seront éteintes de 23h45 à 6 heures.

La ville va donc plus loin que le décret du 5 octobre 2022 qui prévoit une obligation d’extinction pour ces installations de 1h à 6 heures.

À Lyon, une expérimentation va avoir lieu. Du dimanche soir au mercredi soir, de 2h30 à 4h, l’intégralité des lumières de la ville seront éteintes.

Que retenir ?

Outre le fait de nous priver de l’observation d’un ciel étoilé, la pollution lumineuse a également des effets néfastes pour la biodiversité et la santé humaine et représente un gaspillage énergétique considérable.

En France, il existe trois régimes juridiques précisant des périodes d’extinction obligatoire de points lumineux :

  • Les publicités lumineuses
  • Les enseignes lumineuses
  • Les installations lumineuses


Les publicités et enseignes lumineuses doivent être éteintes de 1h à 6h du matin.

Concernant les installations lumineuses, leur plage horaire d’extinction varie suivant leur catégorie (cf. tableau ci-dessus).

Hélas, dans les faits, ces obligations légales d’extinction sont peu appliquées.

Chaque citoyen peut se saisir de cette réglementation pour demander son application !

Heureusement, certaines villes adoptent des arrêtés municipaux afin d’éteindre les éclairages publics la nuit, contribuant ainsi à la protection du ciel et de l’environnement nocturnes.

Références

► Les apports de la loi Biodiversité n°2016-1087 du 8 août 2016 sur l’environnement nocturne : article L. 110-1 I du code de l’environnement et article L. 110-2 du même code.

Première prise en compte de la pollution lumineuse en droit français : Article 41 de la loi n°2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre de Grenelle de l’environnement

Création du chapitre « Prévention des nuisances lumineuses » au sein du code de l’environnement : Article 173 de la loi n°2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement

Définition des installations lumineuses : article R. 583-1 du code de l’environnement

Arrêtés d’application du 27 décembre 2018 :


Décret n°2022-1294 du 5 octobre 2022 relatif aux publicités et enseignes lumineuses

Horaires d’extinction de nuit des publicités lumineuses : article R. 581-35 du code de l’environnement

Horaires d’extinction de nuit des enseignes lumineuses : article R. 581-59 du code de l’environnement

Sanctions applicables concernant les installations lumineuses : article L. 583-5 du code de l’environnement et article R. 583-7 du même code

Sanctions applicables concernant les publicités et enseignes lumineuses : article R. 581-87-1 du code de l’environnement

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